53 ans après l'un
des attentats les plus meurtriers perpétrés par les hordes fascistes de l'OAS,
les Oranais et Oranaises ne sont pas prêts à oublier ces scènes d'horreur et
dont les victimes n'étaient que de simples citoyens fréquentant, par cette
journée de mercredi, l'incontournable Tahtaha notamment durant le mois sacré de
Ramadhan. Si le bilan provisoire communiqué par l'administration coloniale
faisait état de 80 morts et de dizaines de blessés, cette dernière n'a jamais
osé divulguer les chiffres exacts de ce carnage. Beaucoup sont ceux et celles
qui ont gardé de sérieuses séquelles qui les font rappeler l'horreur. Parmi les
miraculés, A. Abdelkader, qui avait 17 ans le jour de l'attentat. Il témoigne :
« à l'époque, j'étais boucher au marché de Sidi Okba et à 16h, je devais
récupérer ma motobécane chez un réparateur à Tahtaha et, arrivé à hauteur du
café de l'USMO, une forte explosion a fait trembler la ville à plusieurs
kilomètres à la ronde. De cet instant, je ne me souviens de rien sauf d'avoir été
projeté par le souffle de la déflagration contre un mur d'un immeuble. Etant
incapable de bouger, j'ouvris les yeux et tout le ciel était gris de poudre
alors que des gens criaient de partout. Me relevant, je ne pouvais rester
indifférent et je me joignis à tous ceux et celles qui œuvraient à secourir les
blessés ou récupérer les morceaux de chair humaine qui collaient aux murs ».
Ces moments, plus
d'un demi-siècle après, demeurent gravés dans la mémoire collective et
notamment de ceux qui avaient assisté au massacre et même des enfants de
victimes. Ce triste épisode orchestré par la bande à Salan a fait l'objet de
recherches de la part d'historiens et l'une d'elle nous parvient de Sadek
Benkada qui fait état de plus de 1100 morts entre 1961 et 1962, une étape
cruciale durant laquelle l'indépendance nationale n'était qu'une question de
temps, un fait que les ultras et des adeptes de l'Algérie française n'ont pas
voulu admettre. Le même historien, sur le sujet depuis 2002, avait estimé, à
juste titre, qu' « il était difficile de déterminer le nombre exact de victimes
des crimes commis par l'OAS et dont plusieurs n'ont pas été inscrites en tant
que telles sur le registre de l'état civil ». La même problématique a été au
centre d'un séminaire organisé par le CRASC sous le thème « villes et massacres
collectifs : le cas d'Oran 1961-1962». Il a été révélé que « dans certains cas,
on enterrait les morts en urgence, sans recourir à l'etat civil alors que dans
d'autres cas, les victimes étaient difficilement identifiables. Pire encore,
l'OAS exécutait des gens et les enterrait. Par conséquent, ils étaient
considérés comme étant des disparus». Durant les premières années de
l'indépendance, des victimes de l'OAS ont été découvertes dans les villas
coloniales et des ossements abandonnés confirmaient bel et bien cette thèse.
L'atrocité de l'acte terroriste a été reconnue même en France comme en
témoignent les manchettes de journaux. «C'est le plus sanglant de la guerre
d'Algérie» (J.-P. Renard, Paris-Presse, 2 mars). Plus tard Alain-Gérard Slama
dira, en signe d'avertissement, que «l'affreux carnage d'Oran est resté un de
ces traumatismes enfouis qui risquent de devenir explosifs à force de n'être
pas reconnus» dans «Oran, 5 juillet 1962. Le massacre oublié», L'Histoire, 1999.
L'esplanade de l'ex-boulevard Joseph Andrew, aujourd'hui Tahtaha, est le cœur
battant de ce quartier entouré de barbelés. Une population dense y vit en
permanence. Dans deux ou trois quartiers on y dénombrait 180.000 musulmans a
qui il était interdit de s'aventurer dans les quartiers européens, c'est-à-dire
tout le reste de la ville avec ses larges avenues et ses maisons cossues.