Le prélèvement d'organes à partir d'un seul cadavre peut sauver la vie à
dix malades. Cette pratique médicale maîtrisée et prometteuse reste l'ultime
espoir pour des dizaines de patients nécessitant une greffe hépatique qui
semblent aujourd'hui condamnés à mourir à petit feu dans nos hôpitaux. Le
prélèvement d'organes à partir de donneur en état de mort encéphalique reste
tributaire du consentement des parents. Le hic est que la société algérienne
qui sacralise le cadavre rejette catégoriquement cette pratique. A l'exception
d'un seul cas de prélèvement de foie sur un donneur en état de mort
encéphalique à Blida, la quasi-totalité des proches de donneurs potentiels en
état de mort encéphalique repoussent les incessantes exhortations des médecins.
L'association Aboulcassis, baptisée au nom du célèbre médecin andalou Abu
Al-Qasim al Zahrawi considéré comme le père fondateur de la chirurgie moderne,
milite depuis de nombreuses années pour la promotion du don d'organes, de tissu
et de cellules de donneurs en état de mort encéphalique à travers, notamment,
la sensibilisation de la population sur les dispositions religieuses, médicales
et réglementaires permettant ce geste. Le président de cette association, le professeur
Ben Maarouf Noureddine, chef de service de chirurgie hépatobiliaire et greffe
du foie à l'Etablissement hospitalier universitaire 1er Novembre, que nous
avons rencontré dimanche dans son bureau, révèle que son association qui
regroupe près de 300 médecins spécialistes de toute la région Ouest active pour
faire connaître la nouvelle spécialité de chirurgie hépatobiliaire qui prend en
charge toutes les pathologies bénignes ou malignes touchant le foie, les voies
biliaires et le pancréas. Il ajoute que son service est encadré par des
médecins spécialistes formés à l'étranger et essentiellement en France.
L'association, qui plaide pour le développement de la transplantation hépatique
à partir de dons cadavériques, se heurte malheureusement aux réticences de la
société. Le professeur Ben Maarouf estime que le temps est venu pour changer
les mentalités et rétablir la confiance entre la société et le système
sanitaire dans son ensemble. Le président de cette association veut balayer les
idées reçues sur le prélèvement d'organes à partir de donneur en état de mort
encéphalique tout en soutenant que cette pratique est permise par la religion
pour cause de nécessité. Le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs
avait émis en 2003 une fetwa autorisant la greffe d'organes à partir d'une
personne décédée. «Le prélèvement d'organes tels que l'œil, le rein, l'épiderme
ou le cœur d'une personne qui vient de décéder pour les transplanter dans le
corps d'une personne vivante pour la sauver est autorisé», a précisé une fetwa
émise par l'ancien président du Haut conseil islamique (HCI). Le professeur Ben
Maarouf insiste sur l'urgence de lancer les prélèvements d'organes sur les
personnes décédées pour sauver des dizaines de malades qui croupissent dans les
listes d'attente et dont la majorité décèdent alors que les quelques rescapés
finissent leurs jours dans les unités d'hépatologie. Dans le seul service
dirigé par le professeur Ben Maarouf, ils sont une dizaine de malades à
attendre une hypothétique transplantation hépatique. «Nous avons un malade de
45 ans qui est décédé récemment après avoir longuement patienté dans la liste
d'attente. Sans une transplantation hépatique, ces malades sont condamnés à une
mort certaine», regrette notre interlocuteur. Les médecins assurent que le
nombre des malades en attente de greffes d'organes ne cesse d'accroître en
Algérie en raison essentiellement de la progression des hépatites A, B et C
parmi la population, d'où la nécessité de revoir de fond en comble toute la
stratégie de promotion du prélèvement d'organes sur donneur en état de mort
encéphalique. L'association Aboulcassis compte ainsi lancer une vaste campagne
de sensibilisation dans les hôpitaux, les mosquées, les médias et les réseaux
sociaux pour convaincre les donneurs potentiels et la population en général.