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TLEMCEN: Le grand brodeur du caftan tlemcénien, Sari Mohamed, à l'honneur

par Khaled Boumediene

Le caftan tlemcénien, tenue hautement symbolique héritée des Andalous, qui se sont repliés vers le Maghreb arabe en 1492 (expulsion de tous les non-chrétiens, toutes origines confondues) et en 1609 (expulsion des musulmans et juifs restés en Espagne après leur conversion, sous la contrainte, au catholicisme en 1492), est à l'honneur, à l'occasion d'une grande exposition qui s'est déroulée du 4 au 12 février 2015, à la maison de la culture «Abdelkader Alloula». A Tlemcen, de nombreux couturiers ont jalousement contribué, au cours des décennies, à la sauvegarde et la propagation de cet héritage du patrimoine vestimentaire algérien, qui était porté par les femmes citadines et les femmes du milieu rural, qu'elles soient de confessions juive ou musulmane. Le défunt Sari Mohamed sera le premier couturier tlemcénien à pratiquer la broderie sur velours des caftans, inspirant des stylistes du monde arabe (Maroc, Tunisie) et occidental, dont Yves Saint Laurent, Kenzo, JP Gautier, Christian Lacroix...). «Cette exposition, dédiée à notre défunt grand maître du caftan Sari Mohamed, a pour objectif de rappeler aux visiteurs la grandeur de ce composant vestimentaire que les anciens artisans, hommes et femmes, ont œuvré à sa préservation et sa promotion. Organisateur de cette exposition, qui a drainé une foule nombreuse émerveillée par ce savoir-faire exceptionnelle, exigeant une patience de fer et un doigté, M. Sari Mohamed, est revenu lors d'une conférence, animée le 11 février 2015 à 15 h, sur le brillant parcours professionnel de cet ancien maître couturier, connu par tous les tlemcéniens. Notre père, après avoir fréquenté l'école coranique, apprit le métier de tailleur «indigène» en brodant sur tissu le gilet maqfoula, la veste ou qat, le seroual bouffant et la gandoura. Lors d'un séjour à Alger, il se perfectionna dans son métier, avant de rentrer au bercail et fonder un foyer. Un jour, il osa franchir l'interdit, en décidant, en tant que premier arabe musulman Tlemcenien, à broder un qât-gilet en filé doré qui accompagna erda, puis un cafetan tlemçani que porte la « aroussa» avec hazem el mensoudj et enfin le caraco avec seroual, appris à Alger. Je me revois, tout enfant, admirant mon père surélevé sur une estrade, recevant la mère, parfois la grand-mère ou une tante de la future épousée et en s'enquérant de sa taille (petite, moyenne, grande), de sa corpulence (mince, grosse?). A ma connaissance, il n'y a jamais eu de rejet ou de retour d'un costume brodé et achevé. Il était le premier à avoir mis en vitrine une grande poupée mannequin, portant la tenue nuptiale, chéchia, cafetan ou caraco, pour attirer le regard de chaque passant(e). Après marchandage, le prix est arrêté, les arrhes versées et la livraison assurée au bout de 3 à 4 semaines. A ce rythme, notre père n'a jamais pu s'enrichir. Nous évoquant au passage son âme charitable puisqu'il mettait bénévolement à la disposition des familles démunies une garde-robe munie d'une panoplie de tenues complètes (caftan ou caraco), à titre de prêt. Avec le temps, sa réputation grandissant et surtout la finesse de son travail (El Ghourza) fait qu'il obtenait le monopole de commande de chaque nouvelle 'aroussa, et les brodeurs spécialistes juifs (Charbit, Benguigui, Bekouch, David) deviennent ses ouvriers, auxquels s'ajoutera plus tard Zoubir Cheikh Bled. Ses fils disponibles allaient chez eux pour rapporter le travail achevé et leur remettre un nouveau pan «ghélila» d'ouvrage à broder, qu'il avait dessiné à la craie sur le velours de soie.

Le fil doré garanti pur 990/1000 était commandé puis reçu par voie postale de Lyon (fabrique Mérieux ou Cahlian). Les bachmaq (mules), il les réalisait chez son frère Hamida, le grand spécialiste du medjboud : dorure à l'aide d'un fil tiré par le bas et le haut à travers un carton retenu avec une tébla : sa boutique était distante de 50m (près de Djilali cycliste). Il fabriquait le couvre lit, l'oreiller (mesned), les coussins, les mules (bechmaq), la fouta et enfin le caraco medjboud. Plus tard, il rejoint son frère ainé en brodant le filet or (fetla), le caftan tlemçani et le caraco, pour satisfaire la demande croissante de toutes les nouvelles 'aroussates. La chedda est réalisée par toute femme volontaire ayant une longue expérience, et qui prévoit une grande quantité de bijoux empruntés, puis restitués en toute confiance dans l'entourage familial. La 'aroussa, pour la première fois de sa vie, est toute heureuse de supporter ce poids énorme de joyaux de la tête aux pieds : zerrouf, djebine, tadj, mengouche (boucle d'oreille), khorsa, mesquia avec khamsa, crafacheboulahia, maximum de perles (djoher), bracelets (menfoukh), messayes, bagues, khoulkhal (brime).Quant au nouveau marié ('arouss), il est astreint au costume sans dorure, chéchia rouge ou turban, gilet qât ou maqfoula, veste ou cafetan, pantalon simple ou seroual bouffant, le tout couvert d'un burnous blanc». A propos du burnous en toile rouge, bien chamarré de filet doré ou passementerie, M. Sari Tahar ajoute : « Notre père le fabriquait spécialement pour un Caïd ou Agha désigné à ce grade honorifique par l'autorité coloniale. Pour la fabrication d'un serdj (selle de cheval) en medjboud doré, cette personnalité est orientée par mon père vers la boutique d'un spécialiste, sise en bas de la Qayssarya, où le dernier héritier de cette œuvre artisanale est Fethi SARI.          

En conclusion, nous avons accepté de présenter cette intervention publique pour rendre un hommage posthume, bien mérité, aux deux frères qui sont partis dans l'anonymat total, Mohammed et Ahmed, fils de Cheikh SARI Abdesselam, qui ont bien marqué la Société tlemcénienne par leur vie d'artiste-musicien et d'artisan-brodeur, comme modèles à la postérité, en espérant que les générations montantes maintiennent le flambeau allumé, pour la démocratisation du cafetan tlemcénien ».