Un premier gouvernement de gauche radicale va siéger et négocier avec les
18 autres gouvernements libéraux de la zone euro dont il est membre. Grosse
impasse pour l'Europe entière et peur de l'effet domino.
Dès l'annonce de la victoire du parti Syriza aux élections législatives grecques,
les gouvernements européens, en particulier ceux des dix-huit autres pays de la
zone euro, ont réagi de concert pour mettre en garde le nouveau gouvernement
grec mené par la gauche radicale à respecter les engagements pris par le
précédent gouvernement libéral : la poursuite des réformes structurelles
drastiques imposées par la Troïka (Banque centrale européenne, FMI et Union
européenne) et le respect de l'échéancier du remboursement de la dette autant
que ses taux d'intérêts. Autrement dit, comme s'il n'y a eu aucun changement
politique majeur en Grèce, alors même que les élections du week-end dernier ont
été tenues avant l'échéance légale prévue pour juin 2016 (18 mois à l'avance)
en raison, justement, des conséquences sociales et économiques catastrophiques
du plan d'austérité imposé par la Troïka au peuple grec. Du coup, les appels à
la «raison» au leader et nouveau Premier ministre grec, Alexis Tsipras, à gérer
dans la continuité du précédent gouvernement les affaires du pays sont
absurdes, sinon provocateurs aux choix des électeurs grecs. En réalité,
l'Europe libérale est surprise et affolée d'assister à l'arrivée en son sein
d'un gouvernement d'obédience gauche radicale allié avec un parti eurosceptique
qu'est le parti ANEL de Panos Kammenos, dit parti des Grecs indépendants.
Syriza a raflé 149 sièges sur les 300 que compte le Parlement grec. Il lui
maquait 2 sièges pour avoir la majorité absolue, il les a cherchés chez les
indépendants grecs qui ont gagné 13 sièges. Désormais, dans les 19 pays que
compte la zone euro, il y a un pays anticapitaliste de gauche face aux 18
autres d'obédience libérale. Ce sera très dur de construire des consensus sur
les questions monétaires et économiques qui conditionnent toutes les politiques
économiques de l'Union européenne. Quelle est la situation de la Grèce
aujourd'hui et pourquoi tant de réserves et de peur de l'Europe face à ce jeune
homme de 40 ans qu'est Alexis Tsipras ? La Grèce doit plus de 321 milliards
d'euros répartis comme suit : 32 milliards dus au FMI, 53 milliards dus aux
prêts bilatéraux aux pays de l'UE et 141,8 milliards dus au Mécanisme européen
de stabilité (MES). La dette représente 175% de déficit public et elle est
détenue à 70% par des institutions publiques (Etat, banques publiques). Cette
situation catastrophique de la Grèce n'est pas nouvelle puisque ce fut le pays
qui encaissa le plus gros choc de la crise financière internationale qui a
frappé l'Occident (Europe et USA) à partir de 2007- 2008. En faillite, la Grèce
a reçu le «soutien» conditionné de l'UE, plus précisément des 16 pays d'alors
de la zone euro. Un plan drastique d'austérité lui a été imposé par la Troïka
qui a mené aujourd'hui la Grèce à une situation plus catastrophique que durant
le début de la crise : chômage de masse (25% de la population active),
liquidation des services sociaux, réduction jusqu'à 50% des salaires, fermeture
tous azimuts d'entreprises, licenciements massifs dans le secteur public,
réduction jusqu'à 30% des retraites et pensions, fuite des diplômés et travailleurs
qualifiés, etc. Comment un plan d'aide censé donner plus de souffle et
d'espérance au peuple grec a-t-il pu aggraver sa situation en le plongeant dans
une spirale infernale d'appauvrissement et de désespoir ? C'est que le système
libéral dominant en Europe obéit à la logique du profit financier : il ne prête
(ne donne jamais gratuitement) qu'avec l'objectif de maximiser encore plus ses
gains et bénéfices. Exemple : les taux d'intérêts appliqués à la Grèce sur les
marchés financiers sont de 10% sur dix ans, quand la France emprunte à un taux
de 0,6%. Cela veut dire que la Grèce, réduite au chômage et à une croissance
négative, va passer le restant de sa vie à rembourser le service de la dette
qui, elle-même, va s'amplifier. Autre exemple concret de la soi-disant
solidarité européenne : la Grèce rembourse chaque année, depuis le plan d'aide
de la Troïka (2009-2010), 60 milliards d'euros à l'Allemagne et 40 milliards
d'euros à la France en intérêts. 100 milliards d'euros pour deux pays chaque
année partent dans le «service de la dette». Du coup, le pays n'a plus les
moyens financiers de relancer les investissements productifs et la machine
économique nationale. Le pays sombre dans la décroissance, le chômage de masse
et la violence sociale. C'est cette situation suicidaire et absurde, imposée au
nom de l'austérité, qui a poussé les Grecs à choisir Syriza qui promet de les
sortir du piège de la Troïka et son plan d'austérité imposé. Le comble est que
la Troïka, soit le FMI, la BCE et la Commission européenne, a reconnu
publiquement que les plans d'austérité ne paient plus et n'amènent pas la
croissance tant recherchée. Alors, pourquoi persister à imposer l'austérité
économique aux pays en difficultés ? Le nouveau gouvernement grec installé dès
le lendemain des élections se veut pragmatique : il veut rester dans la zone
euro et négocier une autre alternative à l'austérité. Plusieurs autres moyens
de sortir son pays du cercle infernal de l'endettement existent : un moratoire
de quelques années (3 ou 5 ans) sur le service de la dette, un échelonnement de
la dette sur un temps plus long (20 ou 30 ans), une recapitalisation des
banques grecques par le gouvernement grec sans que cela soit comptabilisé dans
la dette publique, un effacement d'une partie de la dette (cela a été le cas
pour d'autres pays, y compris l'Allemagne, à quatre reprises depuis 1923), etc.
Les responsables gouvernementaux créditeurs de la Grèce savent et connaissent
tous ces mécanismes, mais ils persistent à l'enfermer dans la logique du capitalisme
financier dont ils ne sont plus que les courtiers. En réalité, ce sont les
spéculateurs du marché mondial de la finance qui sont affolés par l'arrivée de
la gauche radicale au pouvoir en Grèce. Ils sont face à un «adversaire» qui
connaît leur seule logique du profit immédiat et dispose de la parade : la
révision à des conditions raisonnables du plan d'aide, auquel cas, la Grèce
dépose le bilan et prononce sa propre faillite. Devenue insolvable, elle
quittera la zone euro sans payer ses dettes. C'est ce que redoutent les pays de
la zone euro. Pire, en accédant à quelques compromis, facilités ou report
d'échéances demandés par les Grecs, les pays de la zone euro craignent que ce
sera au tour des autres pays surendettés de suivre l'exemple grec. Le Portugal,
l'Espagne, l'Irlande et l'Italie attendent de voir la suite. L'Europe de la
zone euro est prise dans le piège de sa propre logique capitalistique. A moins
que l'annonce de la BCE de faire marcher la planche à billets en injectant 300
milliards d'euros chaque mois dans l'économie européenne, sur un durée de 18
mois, ne vienne calmer les appétits pressants du monde de la spéculation
financière mondiale. La BCE l'a annoncé en début de ce mois de janvier 2015.
Une étrange coïncidence avec le bouleversement politique venu de Grèce et prévu
depuis quelques mois déjà.