Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Une semaine difficile pour les musulmans : L'islamophobie traverse l'Europe

par Moncef Wafi

L'islamophobie est en marche en Europe et ce n'est pas seulement pour dénoncer les derniers attentats contre Charlie Hebdo et les attaques à Montrouge et de la porte de Vincennes.

L'islamophobie existe depuis toujours en terre de Croix et les trois jours sanglants que vient de vivre Paris n'est que prétexte pour sa montée en puissance.

En Allemagne, où le mouvement anti-islam allemand Pegida n'a pas attendu ces attentats pour se manifester, plus de 25.000 personnes étaient présentes ce lundi à Dresde, pour la douzième fois, pour dénoncer ce qu'elles voient comme une islamisation de l'Allemagne, mais les contre-manifestants, appuyés par Angela Merkel, étaient plus de 100.000 à travers le pays. La chancelière allemande, plus tranchante que le président français sur cette question, a annoncé, le même jour, qu'elle serait présente au côté du président Joachim Gauck à une commémoration silencieuse des organisations musulmanes allemandes hier soir à la Porte de Brandebourg, au cœur de Berlin. Tout un symbole. Depuis octobre, Pegida, d'après l'acronyme allemand (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident), mobilise chaque lundi contre la religion musulmane et les demandeurs d'asile. A Leipzig, également en ex-RDA, 2 à 3.000 manifestants anti-islam se sont pour la première fois rassemblés, mais les contre-manifestants étaient 30.000, selon la municipalité. Pays de 81 millions d'habitants, l'Allemagne compte environ trois millions de personnes turques ou d'origine turque, formant la majorité de la communauté musulmane allemande comptant environ 4 millions de personnes. Ailleurs en Europe, près de 200 personnes ont défilé contre l'islam lundi à Oslo à l'appel de Pegida. A Vienne, un premier défilé Pegida est prévu fin janvier, suivi le 16 février par une manifestation identique en Suisse. Par ailleurs, et malgré les condamnations publiques des attentats contre Charlie Hebdo et les attaques à Montrouge et de la porte de Vincennes par les responsables cléricaux musulmans de France, la vague islamophobe ne semble pas près de s'essouffler. Ni les appels à éviter l'amalgame entre terrorisme islamiste et islam des officiels français, Hollande et Valls en tête, ni les incessantes démarcations entre religion et politique des prêcheurs cathodiques musulmans, qui en fin de compte ne représentent qu'eux-mêmes sur les plateaux télés français, n'ont fait reculer les tenants d'un racisme ordinaire qui a trouvé dans ces attentats le prétexte pour passer à la vitesse supérieure. Ainsi, et depuis le 7 janvier dernier, plus d'une cinquantaine d'actes anti-musulmans ont été enregistrés en France, a annoncé ce lundi l'Observatoire contre l'islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui reprend à son compte les chiffres du ministère français de l'Intérieur. Selon son président, Abdallah Zekri, 21 actions (tirs, grenades lancées?) et 33 menaces (lettres, insultes, etc.) ont été comptabilisées depuis mercredi et appelle l'Elysée à «renforcer la surveillance» des mosquées. De son côté, Bernard Cazeneuve, le ministre français de l'Intérieur, s'est voulu rassurant en annonçant que les 5.000 policiers et 10.000 militaires déployés pour protéger notamment les écoles juives et synagogues du pays, surveilleront aussi les lieux de culte musulmans.

«DU JAMAIS VU»

M. Zekri s'est dit «scandalisé» par ces chiffres qu'il a qualifiés «du jamais vu» en cinq jours et s'est insurgé sur la célérité des réactions. Pourtant, les religieux musulmans de France ont tôt fait de condamner l'attaque contre Charlie Hebdo puisque dès le 8 janvier, soit moins de 24 heures après l'attentat des frères Kouachi, le CFCM qui s'est réuni à la Grande mosquée de Paris (GMP) a appelé les imams à condamner la violence lors du prêche de vendredi. Au sein de la communauté musulmane, la condamnation de l'attentat commis au sein de la rédaction de Charlie Hebdo et des violences qui lui ont succédé ailleurs en France est unanime. Dalil Boubakeur, le recteur de la GMP et président du CFCM, a demandé aux musulmans de France de participer -non pas comme musulmans mais comme citoyens- aux manifestations de dimanche. Les organisations musulmanes avaient affiché, dans un communiqué, leur compassion «à la douleur des familles des victimes». En outre, les responsables musulmans ont fait le choix de récuser, publiquement et officiellement, tout lien entre ces violences et l'islam. Pour Dalil Boubakeur, ces actes «viennent jeter une fois de plus le discrédit sur l'islam et recherchent dans un contexte mondial déjà profondément fragilisé, à provoquer la fracture nationale». Rappelons que quelques heures après l'attaque contre les locaux du périodique satirique Charlie Hebdo, une campagne de représailles, élaborée et planifiée, a été enregistrée dans différents endroits de la France ciblant principalement les mosquées et salles de prière. Mercredi soir à Port-La Nouvelle, dans l'Aude, deux coups de feu ont été tirés vers 20 heures sur une salle de prière. Dans la même soirée, et dans le Vaucluse, une famille musulmane a été la cible de tirs qui a visé leur voiture. Dans la nuit de mercredi à jeudi, une mosquée de la ville du Mans, située dans le quartier des Sablons, a été la cible, vers 00h30, d'un jet de trois grenades d'exercice, dites grenades à plâtre. La même nuit, un tag «Morts aux Arabes» a été inscrit sur le portail de la mosquée de Poitiers. Jeudi, la série de représailles contre les musulmans de France franchit un nouveau stade avec le plasticage d'un restaurant kebab près de la mosquée à Villefranche. Jeudi toujours, une mosquée du Tarn est visée par des tirs vers 23 heures. A Bischwiller (Bas-Rhin), un tag «Ich bin Charlie» («Je suis Charlie», en allemand) a été découvert jeudi matin sur le mur extérieur d'une nouvelle mosquée dont la construction s'achève. Dans la soirée, des caméras de surveillance ont été installées aux abords de l'édifice. Les exactions continuent contre la communauté musulmane et dans la nuit de jeudi à vendredi, plusieurs mosquées ont été dégradées. En Corse, une tête de porc et des viscères ont été découverts vendredi matin, accrochés à la porte d'une salle de prière, à Corte. Dans le Pas-de-Calais, deux mosquées en chantier ont été détériorées. Des croix gammées ont été dessinées à Liévin où une tête de cochon a été trouvée.

A Béthune, le tag «dehors les arabes», était visible sur une palissade du lieu de culte en construction. A Rennes, les inscriptions «Er maez» - «dehors» en breton - et «Arabes», ont été taguées à la bombe dans la nuit de jeudi à vendredi sur la façade d'un centre culturel et cultuel islamique en construction. Dernier incident en date, une salle de prières de Moselle a été vandalisée dans la nuit de dimanche à lundi, notamment de tags nazis réalisés à la peinture rouge. Après une forte augmentation en 2013, les actes islamophobes s'étaient orientés à la baisse au début de l'année 2014. Dans son rapport sur les libertés religieuses dans le monde en 2013, publié à l'été 2014, le département d'Etat américain se disait préoccupé par la hausse d'actes antimusulmans et antisémites en France.