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Le massacre de la
rédaction de Charlie Hebdo a créé une stupéfaction et une très grande émotion
dans toute la population française, avec une unité rare dans le pays. L'acte
fut immédiatement condamné par les fédérations musulmanes françaises. Les
innombrables regroupements spontanés, les minutes de silence, les fleurs, les
bougies allumées partout, les dizaines de millions de mails, coups de
téléphones, tweets qui se sont échangés en 24 heures, attestent du choc. Pour
l'instant, à part quelques incidents isolés, cette émotion de tous les Français
n'a heureusement pas dérivé en manifestations antimusulmanes ou contre la
communauté arabe vivant en France. « L'union nationale », républicaine et
laïque est prônée par la plupart des partis. Mais il faudra surveiller l'état
de l'opinion dans les semaines qui viennent, la mauvaise colère pourrait surgir
ici et là : le Front national pourrait être un grand vainqueur électoral de
l'attentat djihadiste.
En attendant, la douleur populaire est palpable. C'est, hors guerre, l'un des plus importants attentats touchant des civils. Et les principales victimes sont des journalistes et des dessinateurs. L'hebdomadaire satirique visé occupe une place particulière dans l'histoire des Français. Plusieurs générations depuis un demi-siècle ont été des lecteurs du journal à un moment donné ou à un autre. Les anciens se rappellent que dans leur jeunesse, ils se régalaient dans le journal Pilote, des aventures du « grand Duduche », adolescent rêveur et l'un des personnages mythiques qu'a créés en 1963 le dessinateur Cabu ! « Nous sommes tous des Charlie » est le slogan et la pancarte qui illustrent toutes les manifestations ou rassemblements qui se sont spontanément organisés dans toute la France, dès l'annonce de l'attaque dans les locaux du journal le jeudi matin. Charlie est issu d'hara-kiri, « journal bête et méchant » : même dérision, même goût de la provocation. On a ajouté dans Charlie Hebdo, bandes dessinées, caricature de presse et critiques politiques parfois très marquées à gauche. Les Français aiment bien la presse satirique et l'impertinence. L'achat, le mercredi matin du Canard enchaîné, est un acte respecté par plusieurs centaines de milliers de mes compatriotes. Peu d'humoristes en Europe ont eu le succès d'un Coluche. Les imitateurs, Nicolas Cantelou et Laurent Gera, pilonnent tous les matins la classe politique française, tous bords réunis, sur deux grandes radios populaires, Europe 1 et RTL pour le second. Ils sont écoutés par des millions de Français. Et tous ces artistes qui font rire, font rarement dans la dentelle. A Charlie Hebdo, plus la provocation est grande, plus le rire peut être garanti. Avec tous les risques de dérapage que cela induit. En février 2006, le journal sort ainsi un numéro spécial de caricatures sur Mahomet, reprenant des images publiées dans le journal danois Jyllands-Posten, auxquelles s'ajoutent des dessins des caricaturistes de Charlie. Des organisations musulmanes françaises, comme le Conseil français du culte musulman, ont demandé l'interdiction du numéro. Cette demande n'a pas abouti à cause d'un vice de procédure. Le président de la République, Jacques Chirac, condamne par la suite ces « provocations manifestes ». Ce numéro a en effet choqué la population musulmane en France. Ce qui n'a pas échappé aux mouvements islamistes radicaux : le 2 novembre 2011, les locaux de Charlie sont incendiés à l'annonce d'un numéro spécial qui avait Mahomet comme « rédacteur en chef ». UNE OPERATION MILITAIRE MENEE AVEC PLUSIEURS EQUIPES La cible a donc été particulièrement choisie par les terroristes qui ont agi de façon toute militaire et bien organisée, assassinant le jour de la conférence de rédaction, douze personnes, parmi lesquelles des dessinateurs célèbres comme Cabu, Wolinski, Charb, également directeur de l'hebdomadaire, Tignous, Honoré, Bernard Marris, économiste réputé, Elsa Cayatte, psychanalyste, Mustapha Ourrad, correcteur. Ahmed Merabet et Franck Brinsolaro étaient deux policiers chargés de protéger le journal. Avec deux dernières victimes, Frederic Boisseau, agent de maintenance, et Michel Renaud, un journaliste invité. Les deux terroristes, les frères Kouachi, ont fait preuve d'une détermination et d'une violence sans égale, lors d'une opération qui semble avoir été préparée minutieusement. Dans l'affaire, un élément reste curieux : comment deux tueurs si bien organisés ont-ils pu laisser une carte d'identité dans la voiture qu'ils avaient volée avant leur crime, puis abandonnée dans leur fuite ? Cette découverte a grandement facilité le travail des policiers qui les ont rapidement pourchassés. Repérés rapidement en Picardie (les deux tueurs souhaitaient-ils passer en Belgique ?), les Frères Kouachi se sont retranchés hier matin dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële, en Seine et Marne, prenant le gérant de la société en otage. Parallèlement, le jeudi matin, une fusillade intervient à Montrouge, dans la banlieue parisienne. Un automobiliste tue une jeune policière et prend la fuite. On apprend le lendemain que celui-ci, Amedy Coulibaly, a des liens avec les deux frères : ils avaient tous fait partie d'une filière djihadiste dite des « Buttes Chaumont ». En 2004, une vingtaine de ses membres auraient rejoint les rangs de la guérilla irakienne. Dernier coup de théâtre : le tireur de Montrouge prend, vendredi matin, cinq otages dans une épicerie juive casher à Vincennes, en faisant deux morts ! A l'heure où ces lignes sont écrites, on ne connait que partiellement l'issue des prises d'otages. La police a pris d'assaut les deux sites vers 17 h, hier, entrainant la mort des trois djihadistes qui voulaient mourir les armes à la main après avoir fait le maximum de victimes. LA FRANCE EN PREMIERE LIGNE A quelle entité sont- ils reliés ? A Al Qaida, Al Qaida-Yémen plus particulièrement, l'Etat Islamique (EI), une organisation locale française ? Les enquêtes qui suivront le diront avec plus de précision. Dans le journal Libération, Jean-Pierre Perrin rappelle le rôle d'Abou Moussad al-Souri, « le prophète du 3ème Jihad ». Dans son Appel à la résistance islamique mondiale de 1600 pages parues sur Internet en décembre 2004, il critique a posteriori l'attaque Twin towers qui a entrainé la guerre des Américains en Afghanistan, privant les djihadistes d'une base arrière sûre. |