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Le choc pétrolier qu'on n'attendait pas surprend à plus d'un titre. Le monde
ne comprend pas cette chute rapide des cours du pétrole. Depuis son haut à 116
dollars en juin 2014, le prix du Brent crude oil (pétrole brut Brent de la mer
du Nord) a fortement reculé. Il y a deux jours, le pétrole Brent est descendu à
69 dollars. Le WTI crude oil a suivi la même chute, il est à 65,84 dollars. En
cinq mois, il a baissé de 40% par rapport à son sommet en début d'été. La
baisse des cours pétroliers est trop rapide pour être considérée comme «
normale ».
1. L'OPEP POUSSE-T-ELLE A UN «CONTRECHOC PETROLIER» ? Peut-on croire que c'est le boom du pétrole de schiste, du gaz de schiste et des huiles de schiste aux États-Unis qui sont à l'origine de cette baisse drastique des cours pétroliers ? Les États-Unis sont déjà annoncés 1er producteur mondial en 2017. Qu'en est-il de cette révolution « non conventionnelle » dans le pétrole de schiste et le gaz de schiste ? Le procédé de la fracturation hydraulique était connu à la fin des années 1940, mais il n'a commencé à être adapté que dans les années 1980, en Amérique. Et c'est dans les années 2000, surtout après 2006, que la fracturation du schiste, combinée au forage horizontal, a permis son développement rapide, ce qui a impacté l'industrie pétrolière américaine, en créant 2 millions d'emplois selon les données occidentales et une augmentation conséquente de la production pétrolière et gazière. Dans les capitales arabes, on redoute qu'une augmentation rapide de la production en pétrole de schiste ne simule un désengagement massif des États-Unis du Moyen-Orient. On avance même qu'un bras de fer oppose les États-Unis à l'Arabie saoudite sur cette donne. Pour rappel, l'Arabie Saoudite a refusé, au cours de la dernière réunion de l'OPEP du 27 novembre 2014, à Vienne, de diminuer la production pétrolière pour faire remonter les cours. Avant même le sommet de l'OPEP, les six Etats du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Oman) s'étaient entendus pour refuser toute baisse des quotas. L'Iran, le Venezuela et l'Algérie défendaient une position opposée, une baisse des quotas pour faire remonter les cours et ainsi éviter de lourds déficits budgétaires. Mais c'est la position des plus grands producteurs du cartel (CCG) qui a prévalu, et l'Organisation n'a même pas invité ses membres à respecter le quota de 30 millions de barils, alors que l'OPEP pompe, selon des estimations, entre 500 000 et un million de barils de plus/jour. Une question se pose. La position des pays du Golfe est-elle défendable ? Peut-on penser qu'il y a un bras de fer entre les États-Unis t l'Arabie Saoudite au point que les monarchies arabes qui dominent le cartel pétrolier ne préconisent même pas un minimum, « le respect du quota global de l'OPEP ». Il préconise au contraire le « chacun pour soi », ce qui signifie que les membres de l'OPEP sont libres d'augmenter leur production, et le seul objectif que traduit cette décision est « pousser les prix du pétrole et du gaz à la baisse ». Ce qui inévitablement concourra à provoquer un « contrechoc pétrolier » - qui serait considéré atteint si les cours pétroliers descendaient à moins de 40 dollars. Les Saoudiens peuvent toujours défendre leur position et dire que ni la Russie ni le Mexique, ni les autres pays hors-OPEP ne se sont joints à eux pour soutenir le cartel. Ce qui explique leur décision de ne pas réduire sa production. En réalité, les pétromonarchies arabes, en tant qu'alliés et protégés des États-Unis, toute position qu'ils ont à défendre au sein du cartel pétrolier est certainement concertée avec les Américains. Ce qui signifie que l'OPEP, en fait, est indirectement dépendant des États-Unis. D'autant plus que la monnaie utilisée par les pays membres du cartel pétrolier est le dollar. Il y a donc un « intérêt mutuel entre l'OPEP et les États-Unis ». Toutes les hausses enregistrées dans les cours pétroliers depuis les années 1970 aux années 2000 et 2010 le doivent aux politiques monétaires de la Réserve fédérale américaine (Fed) et aux déficits extérieurs américains. Ce qui d'ailleurs n'est pas si négatif en soi pour les pays de l'OPEP. Evidemment, il y a les aléas des conjonctures économiques mondiales, et cette baisse s'inscrit précisément dans ces aléas aujourd'hui. 2. L'INCOHERENCE DES PLANS ETASUNIENS FACE AUX FORCES DE L'HISTOIRE Donc peut-on croire que l'Arabie saoudite, qui a par exemple des coûts de production très bas, entre 5 et 10 dollars le baril, en maintenant sa production face à la surproduction américaine, entend faire entendre aux États-Unis que le pétrole de schiste n'est pas le bienvenu ? Telle approche paraît simpliste. Les analyses occidentales font l'impasse sur « le libellé monétaire dans la commercialisation des ventes pétrolières des membres de l'OPEP qui est le dollar américain ». Et que les États-Unis ne tiennent qu'à eux de créer des dollars pour acheter le pétrole arabe, et obliger les autres pays consommateurs de pétrole (Europe, Japon, Chine?) d'acheter des dollars pour régler leurs importations pétrolières venant des pays OPEP. Evidemment ce « droit de seigneuriage » des États-Unis est central dans sa stratégie planétaire. Mais il ne couvre pas tout les aspects d'ordre géostratégique. Prenons un exemple, l'ex-URSS. Qui l'a fait disparaître de la scène mondiale ? La «Guerre» ? Ou l'«Economie» ? L'Union soviétique n'a pas fait de guerre avec les grandes puissances, après 1945. Quant à l'Afghanistan, après avoir transformé ce pays en ruine, elle s'est retirée. On ne peut même pas dire qu'elle a essuyé une défaite. On essuie une défaite lorsque des conditions financières draconiennes sont dictées à la puissance vaincue et éventuellement occupée. Ce n'était pas le cas pour l'URSS, elle s'est retirée parce qu'elle ne pouvait vaincre, comme avant et après l'Union soviétique, les États-Unis ont opéré leur retrait du Vietnam et de l'Irak. Aujourd'hui, de l'Afghanistan. Donc ce n'est pas la guerre, mais l'«Economie». Mais alors comment l'économie a affaibli l'URSS au point que cette « économie-monde », parce qu'il s'agit de l'économie-monde qui, en impactant l'économie de l'URSS, l'a fait disparaître en décembre 1991. Un processus de cause à effet ? Les causes sont connues. Un endettement mondial dès le début des années 1980 avec la hausse des taux d'intérêt mondiaux. La Réserve fédérale américaine pour lutter contre l'inflation a brusquement augmenté fortement son taux directeur. Les conséquences ont été immédiates. Appauvrissement de l'Afrique, de l'Amérique latine, d'une grande partie de l'Asie, des pays du bloc socialiste de l'Est (URSS et les pays socialistes d'Europe centrale orientale). Même le contrechoc pétrolier en 1986 (le baril de pétrole cotait 10 dollars) ne mettra pas fin au marasme économique occidental. Bien, au contraire, il l'accentua. Le commerce extérieur de l'URSS et de ses satellites (le glacis européen) s'est vu brutalement étouffé. On se rappelle la suite les mouvements. Solidarnosc en Pologne, l'irruption de Gorbatchev, ensuite de Boris Eltsine, la chute du Mur de Berlin? « l'Histoire était en marche vers un Renouveau ». Un formidable processus s'est enclenché. La fin de l'URSS, l'implosion de l'ex-Yougoslavie, la Chine a anticipé et s'est convertie au « socialisme de marché ». Aujourd'hui, nous avons cette même perception qu'un remake similaire, à peine différent, est en train de s'opérer. Et si c'était le cas, et ce remake a commencé. Les États-Unis ont-ils pris la place de l'ex-URSS ??? La « Guerre » ou l' « Economie » est en train d'affaiblir l'Amérique ? Une même approche ? La guerre l'a certainement affaiblie comme le fut l'URSS en Afghanistan. Et l'Amérique n'a pas été vaincue, ni dominée, elle s'est retirée d'elle-même des théâtres de combat. Quant aux frappes, aujourd'hui, contre le Daesh islamiste syro-irakien que les États-Unis avec les pétromonarchies arabes ont crée, équipé et soutenu, et qui s'est retourné contre eux, elles n'expriment que l'«incohérence de leurs plans face aux forces de l'Histoire». Aujourd'hui, ce qui s'opère au Moyen-Orient, n'est en fait qu'une guerre de libération de territoires. Chaque faction sunnite, kurde ou chiite lutte pour garder ou conquérir des territoires. Une sorte de décolonisation où la « prééminence ethno-économico-confessionnelle » est au-dessus de tout dans la région. Tous les symboles anthropologiques qui caractérisent les communautés dans cette région centrale du monde sont engagés dans ces conflits armés. Ce qui explique pourquoi le conflit moyen-oriental est en train de dépasser les capacités de la puissance américaine, et « risque de s'étendre aux autres monarchies pétrolières de la région ». On comprend alors l'engagement des pétromonarchies dans le soutien financier et militaire dans la crise moyen-orientale. 3. LES ÉTATS-UNIS, A L'INSTAR DE L'EX-URSS, DANS LE COLLIMATEUR DE L'HISTOIRE ? «L'économie américaine a tremblé» en 2008, il faut le rappeler. Un véritable séisme économique s'est abattu sur les États-Unis avec la crise des « subprimes ». Tout le système financier était arrêté et risquait d'être disloqué si ce n'était la réponse immédiate de la Fed pour racheter les créances immobilières à risque. Ainsi, en sauvant le système financier américain, la Fed a aussi sauvé le monde d'une grave crise économique et financière. Tous les pays du monde détiennent des réserves de changes majoritairement libellées en dollars. Une « ruine de l'Amérique, et du dollar, signifierait une ruine du monde ». Les États-Unis ont accusé un double échec. Au Moyen-Orient où ils ont évacués leurs forces militaires d'Irak, et sont en train de le faire aussi en Afghanistan sans gains géopolitiques réels. Et les effets de la crise de 2008 restent toujours pendants puisque plus de la moitié de l'Europe est en crise. La Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, l'Irlande... où le taux de chômage culmine jusqu'à 25% pour certains pays. Alors qu'aux États-Unis, le taux de chômage, qui est passé, entre avril 2008 et octobre 2009, de 5% à 10%, mettant près de 8 millions d'actifs sur le carreau, ne doit sa baisse, et donc une remontée de l'emploi qu'aux injections monétaires massives opérées par la Réserve fédérale. Les politiques d'assouplissement monétaire « non conventionnel » (QE) ont constitué un véritable miracle pour l'économie américaine, et beaucoup moins en zone euro. Les QE ont limité la dépression économique dans le monde. Cette évolution du monde avec le double échec a fortement marqué la première puissance du monde, entraînant l'Europe dans la crise. Mais un mal ne vient jamais seul, ou plutôt le mal forcément engendre le mal, surtout si la situation est fermée, sans solution visible. Et c'est un peu le cas aujourd'hui. En effet, on assiste à une « triple guerre entre les grandes puissances ». D'abord sur le plan économique, financier et monétaire. Les États-Unis s'opposent à la nouvelle puissance montante du monde, la Chine. Par les investissements qu'elle opère dans le monde, la Chine devient presque un pays prédateur, à l'affût des bonnes affaires dans le monde. Et surtout avec sa politique « gagnant-gagnant » et grâce à sa main d'œuvre très peu coûteuse. Elle opère dans tous les continents y compris en Europe et aux États-Unis. Deuxième puissance du monde depuis 2010, détentrice de plus de 4000 milliards de réserves de change, la Chine, qui a commencé à internationaliser sa monnaie, le yuan, sait que « le temps travaille pour elle ». Et les États-Unis en sont conscients. Partant d'une « vérité » que le dollar américain ne peut rester indéfiniment la monnaie-centre du monde, la Chine vise à surpasser l'Amérique et devenir la première puissance économique, financière et monétaire du monde. Evidemment, cette perspective fait peur à l'Amérique, par les bouleversements qui vont s'opérer dans le « nouvel ordre mondial chinois ». La deuxième guerre se situe dans les théâtres de combat au Moyen-Orient et en Europe de l'Est. La superpuissance perd de plus en plus pied dans les conflits armés tant au Moyen-Orient qu'en Europe orientale. L'échec militaire au Moyen-Orient s'est allongé en 2014 avec la montée en puissance du Daesh qui a complètement transformé les conflits en Syrie et en Irak. Il risque de bouleverser tout le statu quo qu'ont tissé l'Amérique, Israël et les pays monarchiques. Même l'Iran risque d'être touché. Quant à l'Europe de l'Est, l'Occident est aussi en recul. D'abord, une guerre a opposé la Russie à la Géorgie en août 2008, à l'issue de laquelle la Russie a reconnu la souveraineté de l'Ossétie du Sud. La perte de la province séparatiste l'Ossétie du Sud pour la Géorgie aura été un revers magistral pour l'Occident. De nouveau, en mars 2014, la perte de la Crimée et de Sébastopol pour l'Ukraine et son rattachement à la Russie a été un nouveau revers enregistré l'Europe et les États-Unis. La guerre du Donbass qui ne s'est pas terminée et que les républiques de Donetsk et de Lougansk sont toujours en sécession avec le pouvoir central ukrainien n'augurent rien de bon pour l'Occident. Malgré le cessez-le-feu, en septembre 2014, ces deux républiques rejoindront certainement la destinée pour laquelle elles ont combattu. Probablement un nouvel échec pour l'Occident, et donc pour les États-Unis. Enfin la troisième guerre, elle est médiatique, elle s'opère dans les réseaux sociaux sur le web. Une guerre qui a commencé depuis l'« effraction du sanctuaire américain le 11 septembre 2001 », passant par la crise financière de 2008 et finit par le recul de l'Occident sur pratiquement tous les théâtres de combats. Et cette guerre s'opère à temps réel et à l'échelle mondiale. Minant à la fois la première puissance du monde, et ses alliés, cette guerre est redoutable pour le leadership américain dans le monde. Ce qui nous fait dire, vu les mésaventures que vit la superpuissance, et si les États-Unis ne se trouvent pas, à leur tour, à l'instar de l'ex-URSS au début des années 1980, dans le collimateur de l'Histoire » ? 4. UN «CONTRECHOC PETROLIER», UNE SOLUTION POUR L'AMERIQUE ? OU UN REVEIL POUR LES PEUPLES ARABES ? C'est précisément à la lumière de tous ces paramètres nouveaux, apparus au cours de la décennie 2000, montrant au grand jour faiblesse et incapacité de l'Occident pour influer sur l'ordre du monde, que se dessinent de nouvelles manœuvres américaines pour tenter de renverser une évolution qui est très défavorable à la puissance américaine. Et ces manœuvres insérées dans une stratégie est inspirée par la situation géoéconomique même qui a prévalu, dans les années 1980, pour sortir l'Union soviétique de la scène de l'Histoire. Un endettement de continents entiers qui a prévalu, à l'époque, et, conjugué au « contrechoc pétrolier de 1986 » a fini par laminer économiquement l'Union soviétique puis l'a fait dissoudre en décembre 1991. Et les États-Unis, qui sont devenus de grands producteurs de pétrole depuis le boom du pétrole et gaz de schiste non conventionnel, et s'entendent de provoquer un « contrechoc pétrolier mondial », et ce « contrechoc pétrolier programmé » n'est qu'à son début, et « est appelé à durer », pensent-t-ils changer le cours de l'Histoire ? Il est évident qu'un contrechoc pétrolier durable bouleversera plus ou moins le rapport des forces dans le monde, mais ne signifiera aucunement qu'ils tireront de grands profits. Et que le seul profit que les Américains pourraient tirer, si ce contrechoc pétrolier venait à exister comme dans les années 1980, il faudrait encore que ceux qui président aux destinées du peuple américain aillent dans le sens de l'Histoire. Et c'est là le nœud de la problématique d'être une grande puissance. Savoir être une grande puissance mais ne pas savoir comment durer. Toujours est-il, un contrechoc pétrolier n'est pas mauvais en soi. N'a-t-il pas un sens caché ? Dans le sens que les peuples et les gouvernements, en particulier les pays arabo-musulmans, ne peuvent bâtir indéfiniment leurs nations, leurs Etats sur ce seul « don du ciel » qu'est le pétrole. D'autant plus qu'il ne concourt qu'à enrichir une minorité et à octroyer des miettes à une majorité. Un « contrechoc pétrolier sert à réveiller peuples et gouvernements », que le pétrole n'est qu'une richesse passagère, que, sans une politique ouverte à l'économie-monde, malgré le faux faste qu'octroient les richesses pétrolières, ces pays resteront des pays en voie de développement. Plus grave encore, le pétrole ne les poussera pas à se développer. Les mentalités, n'évoluant pas, amèneront « le sous-développement à coexister avec un développement tout au plus factice et matériel ». * Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,Relations internationales et Prospective. |
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