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«Ce voleur qui?»

par Mimi Massiva

Journaliste, déjà Balzac s'en méfiait et Napoléon, dont le chapeau a été récemment acheté à presque 2 millions d'euros par un Japonais, réécrivait les articles à sa gloire même après une bataille perdue? Saïd Mekbel est mort en rasant les murs et Tahar Djaout pour avoir parlé de grande et petite famille. Inclassables. Ils ont payé le prix. Classés, ils seraient morts d'ennui de dégoût comme la majorité silencieuse du métier qui ne survie qu'en se résignant à écrire sous la dictée et l'encre du Pouvoir telle une secrétaire abrutie. Terrassés par un arrêt cardiaque ou rongés par une tumeur foudroyante dans cette Algérie post-terroriste, ingrate et peureuse, qui broie du patriote et encense l'AIS (bras armé du FIS) à lui ouvrir les portes du Palais pour bénir une énième magouille constitutionnelle, un énième moule pour 40 millions de pavloviens et leurs descendants. Ou pire, ils se seraient suicidés en constatant trop tard que leur profession était fichue, qu'elle n'a jamais existé qu'en « voleuse » pour atterrir en « danseuse ». Le métier a perdu sa carte avec ces pigistes V.I.P qui ne s'arrachent à leur sieste que pour écouter la Voix dépositaire du sacré. On les reconnaît plus à leur standing et air de famille avec les nababs qu'à leur écriture. Quant à la poignée de rebelles qui essayent de faire entendre le grincement de leur plume, c'est la damnation dans toutes les directions. La parenthèse d'octobre 88 n'a pas porté chance au métier comme on pourrait le croire. Une centaine de journalistes doublement assassinés interdits de mémoire et dont le sang a servi d'encre à la Réconciliation entre des tueurs des commanditaires et des cadavres. Ce « chahut de gamins » est venu trop tard. Il est venu au moment où l'exemple à suivre, l'Occident se découvre en post- démocratie et cherche une troisième vision. Jusqu'au Printemps arabe qui a fini par trahir ses jeunes les sacrifiant pour faire le Printemps des généraux et celui des califes. La masse qui dit toujours ni oui ni non se contente de l'indulgence des autres saisons. Miracle, l'Algérie n'est jamais décalée par rapport aux autres à défaut de vivre de vraies expériences, elle scanne des résultats, les dorlote ; passés de mode, elle les jette à la poubelle.

En France, certains universitaires parlent de la fin du journalisme. Les pays qui n'ont jamais connu ce dernier se frottent les mains sans complexe. À l'exemple de ceux en train de sortir de la démocratie et ceux qui n'y sont jamais entrés. Dans son livre Chroniques de l'Algérie amère, Anouar Benmalek écrit : « Le 17 octobre 1988, quelques jours après les fameux événements, avait eu lieu, à l'Université de Bab Ezzouar, une grande assemblée des universitaires du centre du pays. Ce fut un moment terrible d'émotion? Dans un mouvement collectif d'indignation, les universitaires présents avaient alors décidé d'adopter deux textes, le premier étant une pétition nationale contre la torture et le second correspondant à peu près à une charte des libertés que les signataires voulaient voir appliquer à l'Algérie. Un bureau fut chargé de la rédaction de ces documents. Si le premier ne rencontra aucune opposition lors de son adoption, le second, consacré aux revendications démocratiques, fut combattu avec acharnement sur un point précis : la revendication du multipartisme. L'on en vint au vote et, surprise pour quelques-uns d'entre nous, ce point fut enlevé. Les excuses invoquées par les tenants majoritaires de la suppression de cette revendication du texte des universitaires se réduisaient à l'explication incongrue qu'il ne fallait pas diviser les démocrates? » Question : Pourquoi torturer un démocrate sans revendications démocratiques ? On comprend pourquoi aujourd'hui l'université algérienne fait l'actualité avec le plagiat, le piston, les faux docteurs, les concours contestés, les grèves à répétition pour le salaire, l'alphabet des diplômes etc. Avec de tels universitaires, avec des institutions aussi participatives, une dictature à vie, des policiers plus nombreux que les manifestants, le journaliste algérien répliquera au « vaste est la prison » du chant kabyle, vaste est la torture.

Ajoutons qu'il ne peut compter pour se protéger sur aucune opinion publique. Marc Lynch analysant les médias arabes écrit (1): « Un autre facteur qui entrave le processus de démocratisation dans le monde arabe touche les téléspectateurs eux-mêmes. En effet, malgré la prolifération des chaînes satellitaires et la diversité de leurs sources d'information, la liberté d'expression reste confinée à la sphère privée. Il est très difficile de surmonter les attitudes et les comportements, presque innés, de méfiance des téléspectateurs. D'où l'absence de transfert des idées et des opinions, de la sphère privée vers la sphère publique, processus qui favoriserait la formation d'une opinion publique. » Et les sultans arabes l'ont compris avant Lynch avant les nouveaux patrons des médias : celui qui a le droit d'informer c'est le roi Crésus. Aujourd'hui en France c'est l'industrie des armes du béton et des banques qui possèdent le gros des télés journaux magazines et sans doute demain des « web médias » qui ont montré les limites de leur gratuité et de leur libre flux. Le plus curieux c'est que ces « mécènes » s'intéressent au domaine journalistique dont ils se méfiaient hier. En arabe on ne rachète pas une « marque » déficitaire, on possède une « marque » bénéficiaire. El Jazeera, le 23e pays arabe, c'est l'œuvre du Qatar. Derrière tout médias arabes, il y a le système arabe. Une anomalie ajoutée à une autre. Il suffit de suivre les débats de la sultane Jazeerati pour se mettre une balle dans la tête. Sans complexe le pays wahhabite qatari mondialise son succès en devenant le premier actionnaire du puissant groupe Lagardère qui possèdent parmi ses « perles » Paris-Match et Elle, le magazine féminin. Simone de Beauvoir doit exploser dans sa tombe. Concentrer les sièges de décisions a un double objectif : manipuler l'information et investir pour récolter des profits à défaut de faire évoluer l'information. La presse libre, le journaliste qui faisait peur c'est du passé. Le collectif qui faisait la rédaction a été remplacé par la ligne directoriale du groupe mi-maffieux mi-politicien qui ne s'intéresse qu'à la pub le foot et la météo. L'information en Occident rejoint peu à peu celle des pays arabes : tributaires des bailleurs de fonds accoquinés aux donneurs de leçons, les politiciens. Bien sûr, en France, Hollande n'a pas mis en prison les journalistes qui l'ont photographié sur son scooter avec sa petite amie tels des adolescents s'apprêtant à rejoindre une rave-party illégale. En Algérie ou dans n'importe quel pays arabe, la situation est inimaginable. Le journaliste a autant de chances de violer la vie privée de son Président que d'être capturé par des extraterrestres.

Combien se sont retrouvés derrière les barreaux pour corruption parce qu'ils ont dénoncé la corruption ? Généralement, on s'empresse d'offrir une promotion rêvée à l'accusé pour le consoler d'avoir subi une telle infamie. D'où l'attrait pour la presse française où il y a des histoires à raconter au lieu de rumeurs à faire circuler d'une capitale à un douar telles des « femelles » murées dans leur hammam. Dans ce déni des textes fondateurs du journalisme, on n'informe plus on communique. Pour le grand bonheur de ce qu'on appelle les « journalistes-sandwich ». Sur le net, un professionnel français explique : « Les journalistes sont des feignants. Il suffit de les flatter un peu et de leur livrer les informations en kit avec un petit cadeau : ils les recopient souvent sans même changer une ligne. Ça leur évite des efforts et nous, ça nous permet de faire parler de nos produits.» L'espèce des journalistes non « digérables » se raréfie, morte d'après certains. Il y a de plus en plus des pigistes payés au Smic alors que d'autres ouvrent le journal télévisé avec des salaires de stars, de footballeurs etc... John Saul dans les « Bâtards de Voltaire » explique grosso modo que pour pouvoir s'enrichir sans provoquer la révolte populaire, les politiciens avaient besoin de se fabriquer des stars (télé, foot, cinéma?) bien sympathiques et bien graissées pour faire passer la pilule à la masse. Astuce vieille comme le monde. C'est le système des vases communicants : trop d'un côté implique trop peu de l'autre. La profession se laisse envahir par les pigistes, se féminise beauté et jeunesse exigées en prime. C?est sous Mitterrand qu'a été inauguré « officiellement » l'envoi d'un commando de charme à l'assaut de la vieille forteresse des élus de la Nation. D'où les relations incestueuses entre les journalistes et les politiciens français qui amusent la presse anglophone plus prudente dans ce domaine. On a bien copié en Algérie sauf qu'il n'y a aucune forteresse d'élus à prendre juste un repaire de millionnaires à main levée et des mendiants une fois la main baissée. Combien de compétences ont été écartées parce qu'elles n'avaient pas le sex-appeal exigé ? Combien de compétences écartées parce qu'elles n'avaient pas le réseau ? Le journaliste vedette de TF1, PPDA, n'a jamais été sanctionné pour avoir interviewé un faux Fidel Castro. En 2000 Alain Minc dans son ouvrage Capitalisme, s'inquiétait déjà des deux virus qui touchent le monde des médias aux USA : gouvernance et responsabilité. Il affirme qu'elles ne sont que des prétextes pour attaquer l'immunité et la conscience qui fondent la classe journalistique.

Aujourd'hui le journaliste est confronté à une hiérarchie qui ne le tolère qu'en se servant de lui. Elle détient l'argent, les sources du mensonge et de la vérité avec l'arme suprême : les satellites espions. Heureusement l'information vraie ou fausse a perdu de son importance vis-à-vis de la masse. Des études américaines affirment que 80 % des informations quotidiennes sont inutiles dans un pays qui en détient pourtant le monopole. En Algérie, pays super parabolé, on peut ajouter sans craindre les 20 %, même la météo est servie avec Inchallah. Combien de fois le nom de Bouteflika est évoqué écrit encensé même sur le web dans des sites des pubs qui n'ont rien avec la politique encore moins avec l'Algérie. Tel un message subliminal dans l'antichambre de la mort. En gangrenant les canaux de l'information, la mafia a fait de la mafia. Ce n'est pas par hasard que les pays « propres » ont une information « propre ». La vertueuse Finlande est classée première dans la liberté de la presse 4 années successives par l'ONG Reporters sans Frontières (RSF) de 2013. Avec un simple clic, n'importe qui peut savoir le salaire de n'importe quel responsable finlandais et combien il paie d'impôts. Même ses patrons sont des « martiens », trois d'entre eux sont propriétaires de l'ensemble de la presse avec ce qu'on appelle la « culture de l'indépendance » qui leur interdit, ainsi qu'aux politiciens, de jeter un coup d'œil sur le contenu de la Rédaction. À cause des affaires de Wikileaks et Snowden-NSA, les USA reculent de 13 places à la 46e et la France au 39e. Il a fallu que Mediapart tombe « miraculeusement » sur un enregistrement téléphonique personnel de l'ex-ministre Cahuzac pour le coincer en fraudeur du fisc. En Algérie aucun journaliste n'a accès à des chiffres sans le canal officiel qui souvent communique le vide ou les faux chiffres. S'il y a des fuites, elles sont réfléchies, calculées, on soulève le couvercle de la cocotte- minute pour éviter qu'elle n'éclate ou simplement pour montrer qu'on est normal comme tout le monde quitte à sacrifier les petits poissons encombrants. D'ailleurs tout scandale chasse l'autre. C'est dur de commenter une politique avec un président Merlin l'enchanteur qui peut être sur un lit d'hôpital et en même temps bosser avec ses ministres réécrire la Constitution rédiger des messages de félicitations de remerciement recevoir émissaires et ambassadeurs flatter l'orgueil national en inaugurant des « œuvres révolutionnaires » avec des images d'archives en direct. Un trône vide entouré d'un cheptel de courtisans bavants et s'acharnant à frotter une lampe d'Aladin après avoir assassiné le génie. C'est dur dans ces conditions d'être journaliste quand le politique sans la politique occupe toute la scène et qu'on est sommé de faire sa propagande. Aucun pays arabe n'occupe les 100 premières places du classement de RSF. Etant donné le partage de la société arabe entre seigneurs et serfs, le journaliste se retrouve toujours en procès avec des Ayants-tous les droits sur Terre. Le Printemps arabe a empiré leur calvaire puisqu'il a s'ajouté face à eux un adversaire infiniment plus redoutable : les Ayants-tous les droits sur le ciel?Il y a quelques années décennies les hommes politiques ne souriaient pas, aujourd'hui, ils montrent leurs incisives quitte à les limer comme Mitterrand. Ils se sont donné le mot pour nous divertir à défaut de faire sérieux et résoudre les problèmes qu'ils nous ont causés. Un « voleur » finit par ennuyer quand il ne peut rien voler. Même en l'absence de censure, de torture, il s'oblige à faire le danseur tourneur pour sauver simplement sa peau surtout « quand tout le discours politique prend la forme d'une plaisanterie. »(2)

(1) Marc Lynch : Voices of the New Arab Public

(2) Neil Postman : Se distraire à en mourir