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Ce que je crois?  au Quotidien

par El Yazid Dib

A son authenticité. Je crois à son amitié. Aussi à son offre de liberté au podium de l'expression et de ses soucis. J'ai eu l'honneur d'assister à deux décennies de son existence et de gloser ainsi mes impressions. Les voici, les voilà.

C'est quoi en fait ce journal ? Le Quotidien dit d'Oran ? Un éditorial est loin d'être une carte d'identité d'un journal. La sienne elle est censée se contenir dans l'idée qu'en font ses lecteurs. Les avis divergent, les objectifs s'unifient. Informer et enrichir dans la diversité, loin de l'adversité est par essence la mission des rotatives. Mon histoire avec ce journal a commencé début 2001. Il dissipait chez moi cette appréhension mi-hostile, mi-douteuse que je me faisais à l'égard de toute la presse écrite en rendant publique ma manière de juger l'actualité, ses faiseurs, leurs gabegies et l'inquiétude des autres. Comme chez tout auteur, c'est à la poésie que revient la vertu de pouvoir aiguiser savamment ses mots. Bu, malaxé et expurgé de sa sève, ce mot peut parfois ériger avec d'autres, une armée de sens et de versions. Et si la versification n'arrive pas à se faire rimer aux temps, ni engendrer la douceur lyrique, et bien le poète se rebelle et se révèle en dérision. C'est ce à quoi je commençais déjà à croire. Ma poésie demeurée incomprise s'est vite transformée en prose et de là en écrits de presse. La muse en ce genre d'écriture est un discours de tous les jours. Chaque fois qu'un article parait, d'autres se dessinent. Je voyais dans l'envoi de mes papiers un courrier adressé à quiconque. Je semblais faire, en écrivant transmettre des doléances anonymes que partage un peuple. Je me sentais dans la peau, parfois d'un chevalier défenseur, parfois d'un huissier. Le plaidoyer côtoyait le constat. Avec ce temps qui d'année en année dévore le mien ; ma plume tendait à panser les nombreuses blessures croyant fermer ainsi leurs béantes cicatrices. Le pays saignait, mes amis aussi. Je m'abstiens de dire « le peuple ». Ce générique évidé, combien cher dans le verbiage politique et qui s'use à force d'en user !

Cette fois-ci il nous est permis de parler un peu de nous. De vous surtout. L'utilisation du « je » serait une antinomie à une vision d'éthique. Mon journal qui au fil de sa maturité s'est pris pour objectif, l'objectivité. L'occasion est presque au quotidien d'entrapercevoir cette culture d'humilité qui me fait abstenir de parler de lui ni de ceux et celles qui le font. Je, moi ou il ; préfère discourir sur la douleur des maux subis, les voies de l'espérance à convoiter ou encore soliloquer sur des incertitudes. Un journal, une fois mis en rotative n'est plus en possession de ses imprimeurs. Bien au contraire il leur devient un devoir moral d'en assurer chaque jour la naissance et la satisfaction. C'est au crépissement nocturne des imprimantes que le cri autrement répété ira se répandre le lendemain.

Quelle intrépidité suicidaire de vouloir mordicus donner libre cours aux différentes égéries qui font le menu hebdomadaire du quotidien ! Elles sont multiples, indéfinies, aléatoires parfois volcaniques ces inspiratrices qui tissent au fil d'alpha une actualité à vivre communément et à voir diversement. Mes inspirations à moi ont été tout le temps le mode d'être des choses fabriquées par le mental des hommes. Elles sont aussi l'émanation de l'idiotie du temps ou le cocufiage des virilités. Quant à l'actualité, l'événement factuel et le fait conjoncturel, malgré parfois leur coté proéminent ; ils n'arrivent pas à s'injecter dans la moindre de mes égéries. Un gouvernant qui correspond avec son peuple, un ministre qui baptise des cités avachies, un wali qui fait débiter du gaz naturel, ce ne sont pas là de bonnes muses. Les meilleures et les plus fécondes se nichent par conséquent dans la cavité d'un peuple qui accuse réception dans les délais indéfinis ou dans l'odeur des hydrocarbures qui n'arrose pas tous de son bienfait.

L'opposé d'une croyance n'est pas le reniement, c'est l'absence de conscience. Croire en une chose, c'est en faire un propre patrimoine. Je crois en la liberté d'expression, en tant que partage qui ne peut se situer dans l'humeur du jour, du pouvoir ou de la simple conjoncture. Quoiqu'un jour j'y crois, un autre non ; l'utile restera toujours dans ces milliers de voix qui se taisent ou à qui nul micro ou tribune n'est tendu. Ces misères qui ne peuvent s'éclater au grand jour pour lancer au visage de ceux qui les entretiennent sans fard, de leur dire basta ! Levez-vous et faites lever de chez nous la honte et la dérision des autres. L'expression ne peut avoir ses noblesses de pouvoir changer les choses qu'une fois la langue et ses multitudes langagières s'épanouissent et prennent leur diversité dans une convergence d'idéal. Je ne saurai blâmer quiconque, si ce n'était ce renoncement à la vicissitude ou à l'intérêt, de l'intérêt collectif ou celui de tous les autres silencieux.

Ce que d'emblée j'estime en vouloir à mon journal c'était son silence très récent sur ma distinction. Pourtant cet honneur était rendu en son nom. Ayant remporté le premier prix du concours national « les enfants de novembre », au titre de la presse écrite décerné par deux ministres en présence de 4 autres, je n'ai pas eu droit à la moindre oreillette ou à l'infime information. D'autres journaux, quotidiens arabophones notamment l'on savamment fait. L'ENTV et d'autres chaines privées ont également relayé l'info. Ce sentiment de négation au quel je n'arrive pas à repérer des thèses serait semble-t-il à inscrire dans la candeur dont se prévaut mon journal me suis-je forcé d'y croire. S'il s'agissait du Goncourt ou d'un autre prix de l'au-delà des mers, en serait-il autrement ? Je salue et félicite au passage mon confrère Kamel Daoud pour tous ses couronnements. Ce Monsieur à l'acuité analytique controversée, qui laisse parfois, à moi et à d'autres la main dans l'inévitable « raina raikoum » est un sceau qui estampille aussi ce qui nous pulvérise. Ses consécrations sont aussi les nôtres. Quant à mon prix, il est bien de chez nous, on lui fait totalement confiance. Il représente Novembre-la-révolution, il parle de Benboulaid et du lieu de sa sépulture, Nara.

Tout mon entourage réel ou virtuel s'en est interrogé. Un temps après, c'est à la localité de la wilaya des Aurès de m'en faire les honneurs. Ce papier est passé, uniquement au Quotidien d'Oran. Ce qui m'avait alors bousculé à penser à raison cette-fois-ci, que le mien fait dans l'inédit et l'exclusif. La modération et la modestie. Je prétendais, pour mon assurance, avoir une sensibilité de la part de mon journal en qui mon nom se confond et sans qui « le prix de novembre » n'aurait été obtenu. Il était, le supposais-je qu'une reconnaissance élogieuse au Quotidien d'Oran.

Il m'arrive souvent que le fortuit me mets dans un imbroglio non souhaité. Agir pour le compte du journal n'a jamais été un volontarisme de ma part bien que je m'y prête le cas échéant avec lyrisme. Sur le plateau de Canal Algérie et considérant que mon prix eut été conquis au nom du journal, la difficulté que me semblait me coller l'animatrice d'en être le porte-parole m'étranglait. Responsabilité, engagement ? Le Quotidien d'Oran paraissait à l'instant pour être mon employeur furtif et moi son prompt missionnaire. S'il n'en est rien du premier, le second que j'étais ; ressentait un certain plaisir à accomplir la « mission » collée. Celle de brandir un titre respectable et fort respectueux. Ne versant ni dans la diatribe, ni dans le débours des comptes à régler ou à rouvrir.

Autre jugement à faire, saisissant l'occasion de le dire, c'est que mes chroniques paraissent sous mes propres noms et photo certes, mais avec un anonymat numérique. L'abstraction d'une adresse électronique est ressentie par certains de mes attentifs lecteurs comme une échappatoire, une fuite en avant. Je crois que l'insertion de mon mail à mon nom n'influe en rien la publication. Bien au contraire, je trouve que l'on offrira ainsi un lieu utile et d'aplomb au lecteur, objectif essentiel à toute parution et par conséquent une feedback à l'auteur. La réaction est plus qu'utile à la genèse d'une action, d'un écrit ou d'une réflexion. Réagir fait réagir. C'est du moins ce qui ressort des com's postés sur le mur de mon net.

Le quotidien d'Oran, voilà vingt ans, paraissait pour être une tribune oranaise. Prenant plus de place dans un univers médiatique trop perplexe et complexe, il s'étend cahin-caha à prendre une dimension « oranienne » pour aboutir à une couverture nationale. Abandonnant au fil de l'événementiel son inclinaison initiale d'un « régionalisme » de par son générique identitaire « d'Oran », il s'est attelé à recouvrer sa maturité dans un rang fortement national. S'il est certes un quotidien sis à Oran ; il est le Quotidien qui sert, se sert et se distribue dans toute l'Algérie. Je ne doute pas des contraintes qu'il a du subir, des « inextricabiltés » qu'il a du défaire et des écueils majeurs qu'il a su franchir. Je ne suis pas dans le ventre de ce journal pour dire les maux susceptibles de lui avoir causé éventuellement des désagréments. Je n'évolue qu'à ses proximités. Dans ses colonnes, dans ses vertèbres. Mais je sens, par l'odeur de ses pages, par leur ampleur, leur consistance que quelque part des inégalités, des deux poids deux mesures lui sont administrés. Quand vous compulsez une édition de 32 pages et vous n'y voyez qu'une seule page de pub et deux d'annonces classées, il est facile de comprendre la suite. C'est cette lecture superficielle, matérielle et photo-visuelle qui me dit que mon « quotidien » n'est pas essentiellement un support d'incitation à la consommation. S'il le fait, il le fait autrement. Il insiste sur l'engouement à consommer ; Analyse, Opinion, Débat, Tranche de vie, Raina Raikoum, et les fameux Jeudis. Dans mon Quotidien les voix sont plurielles. Hétéroclites. Elles naissent ailleurs, elles s'éclosent à Oran pour s'épanouir dans la grosse foule. L'on y peut vilipender un avis tout en lui octroyant la défense qui lui sied. Il n'est pas un parti et nous non pas ses militants. Ni une association de charité et nous non pas ses bienfaiteurs. Il est certainement une société ; nous n'en sommes pas des tâcherons nantis. Il est tout juste un organe d'information et d'analyse et nous ses collaborateurs. Des plumes libres et passionnées.

Ah ! Cette édition du jeudi ! C'est mon joli monde. Un enclos libre de savoir, de pensées et « d'idéophilie ». On y voit l'actualité de tout autre angle. C'est un lieu de rendez-vous. Peu importe ce qu'on y trouve. Chacun y va de ses luminances, de ses flâneries, de ses coïncidences. Moi, j'y trouve de l'obligeance en prétendant satisfaire des attentes. Du devoir affriolant en espérant accomplir un héroïsme. Il est vrai de vouloir dès le matin du jeudi redécouvrir avec ravissement mon grimoire en imprimé. Il est vrai de ne pas vouloir rencontrer mon désarroi dès le soir du jeudi. Je reste anxieux par devant le dépeuplement qui envahit mes idées. Estropié par ma cécité incapable d'inventer un futur ; l'abandon d'écriture me frôle. Le vide et le noir me broie. Il n'y a rien à dire pour réussir à croiser une chaine de mots. Aucune charpente, jaillissement ou inspiration ne vient me sauver de mes déserts. L'actualité n'est que morose. Ebola, météo, prix, Saidani, Walis et autres absences s'élisent dans l'instinct d'une imminente semaine. Ce n'est que par un banal déclic, un regard, une démarche, un écho que voilà l'ossature d'un sujet s'élève sur l'écran blanc de mon micro. Cet écran devient un linceul très vaste où j'enfouis tous les cadavres de mes chimères. C'est dans le jeudi prochain qu'ils rappliquent rafraîchis pour mourir encore dans la mémoire de mes lecteurs. Une chronique nait d'un sentiment, une autre d'un contre-sentiment. La tourmente du rien et la joie d'être sont itératives, elles se répètent sempiternellement. Je comprends le reproche que me font mes amis sur la longueur de mes contributions. Je ne justifie rien. Je crois qu'un article est comme un estomac, pour qu'il se rassasie ; le menu doit être complet. Souvent il l'est? à satiété.

Puisque en cet anniversaire latitude est donnée à mon encre de couler. Qu'elle aille donc sourdre des vœux et des attentes inaccomplies. Je dirais que c'est bien dommage que les auteurs du moins anciens habituels du jeudi ne se connaissent que par signature ou virtuellement sur réseaux sociaux. Le journal aurait gagné en générosité de les rassembler une fois l'an, disons les dix ans autour d'une tasse de café bien oranais. Une photo à la une de la présente édition aurait fait le souvenir d'une amitié paginée.

Si le Quotidien d'Oran est devenu une plateforme importante dans le paysage médiatique, hommage est à rendre sans ambages à ses pionniers. A ses fondateurs. Le chroniqueur a cette assurance, pour l'avoir souvent sentie, de croire que la survivance de cette édition nationale d'information est une essentialité vitale chez Monsieur Mohamed Abdou Benabbou. Son habileté managériale égalisant son éloquence génétique témoigne de sa maitrise du gouvernail dans un océan toujours agité. Un autre Monsieur à qui « le zoukh ne monte pas à la tête » fut-il Guellil ! et qui « Au-delà des mots et de leur magie » ; ses billets nous font aimer « l'art de l'autodérision ». Fodil Baba Ahmed. L'homme à la « littérature sans cosmétique » et que cachent toutes les « Tranches de vie ». (prière de ne pas soustraire ces lignes au motif d'une humilité). Hommage est rendu autant à ceux qui ne sont plus de ce monde et que l'aléa ou le hasard des croisements de génération ne m'a pas hélas permis de les connaitre. Merci pour cette recréation. Bon anniversaire. A une autre décennie?