« Le mouton a été
mis KO en recevant deux coups de massue conjugués à la sécheresse et à la
cherté des aliments », nous a dit d'entrée hier, en plaisantant, un boucher du
marché Boumezzou de Constantine lorsque nous lui avions posé la question de la
disparition totale de la viande de mouton des étals. Nous qui avons cru que la
persistance de la sécheresse allait pousser les éleveurs à brader leur cheptel,
nous avons entendu une autre explication et un autre son de cloche. Et c'est
ainsi que notre interlocuteur nous demanda de ne pas nous étonner de trouver
tous les souks de la ville pratiquement vides de viande de mouton et de ne
trouver dans les étals que la viande de bœuf qui est proposée à 850 et 900
dinars le kilo (1.300 le kilo de bifteck), prix qu'il a jugés quand même un peu
élevés. Selon M. Boudjemaa, en effet, le mouton se fait rare parce que les
éleveurs et les revendeurs qui se déplacent loin à Alger, Djelfa et El-Bayadh
pour s'approvisionner n'ont plus rien à offrir. D'une part, la sécheresse
n'incite personne à se lancer dans l'élevage et c'est particulièrement les prix
excessifs des aliments qui les dissuadent. Figurez-vous que le quintal
d'aliment de ce qu'on appelle « le concentré » qui coûtait 3.500 dinars est
cédé maintenant à 4.000 dinars et le quintal de foin a augmenté aussi de 200
dinars. Aussi, les éleveurs n'arrivent plus à supporter et ils ont été
contraints, il y a quelques semaines, à vendre leur cheptel à perte plutôt que
de continuer à le nourrir à des prix devenus inabordables ». Et de raconter que
lui-même avait dû céder à perte les 35 têtes de moutons qui lui restaient du
marché d'avant l'Aïd El-Adha. «Leur seul aliment m'a coûté une quarantaine de
millions et j'ai été obligé de m'en débarrasser. Aussi, le mouton que j'avais
payé à 35.000 dinars, je l'ai cédé à 26.000 dinars. Aussi, selon cet éleveur,
ce qui explique l'absence de la viande de mouton sur le marché, c'est le mouton
lui-même qui se fait rare. « On l'achetait au prix de gros à 1.300 dinars le
kilo et on le revendait 1.350 dinars. Mais à ce prix-là, les citoyens ne
l'achètent pas. Dernièrement, il m'a fallu plus d'une semaine pour « liquider »
les deux carcasses qui j'avais mises à la vente dans mon magasin. Les gens
préfèrent se rabattre sur le poulet plutôt que de payer le prix de 1.350 dinars
le kilo de viande de mouton». Donc, mis à part les grands éleveurs des
Hauts-Plateaux, la sécheresse n'incite guère les autres à se lancer dans
l'aventure. Et c'est le prix excessif des aliments du bétail qui leur a donné
le coup de grâce, en leur faisant abandonner l'idée d'élever les bêtes puis de
les mettre sur le marché. D'où la rareté du produit et sa cherté. « C'est la
loi implacable de l'offre et de la demande qui s'exprime », résumera un autre
boucher du marché des frères Bettou où la situation est pareille. Et dans tout
ça, c'est le poulet qui en profite pour voler haut, à 320 dinars le kilo pour
le premier choix, et à 290 dinars le second choix.
Dans le rayon des
fruits et légumes, la situation se stabilise avec l'arrivage, il y a une
semaine, de grandes quantités de légumes provenant des wilayas productrices du
Sud et de l'Ouest. La tension qu'il y avait sur la pomme de terre est tombée
maintenant du moment que ce tubercule est vendu maintenant par les marchands
ambulants qui sillonnent les quartiers en le proposant à 65 dinars le kilo. Le
piment doux de bonne qualité à 140, la tomate qui reste stationnée à 80 dinars
et le haricot vert de premier choix qui est descendu à 120 dinars le kilo. « Et
cela va encore descendre avec l'arrivée des primeurs venant des wilayas du
littoral de l'Est car la cueillette a été facilitée par la persistance de la
sécheresse », a prévu, à la fin de notre entretien, un vieux marchand de
légumes du marché des frères Bettou.