La langue avalée, les yeux exorbités et le ventre dans le
dos, Chalachou, par un jour sans torgnole, fixe d'un regard vitreux sa pierre
philosophale, pour tenter de fausser compagnie à ses cauchemars, soudainement
ravivés. Mais en décidant de tirer le Malin par sa queue obturée, Chalachou
prend sur lui le défi « mortel », devant tous ses prochains, celui d'exterminer
jusqu'à l'avant-dernier fantassin, toute l'engeance -en voie de prolifération-
des tricheurs nés, partout dans les auges, où ils pourraient subodorer leurs
proies, aux pommettes angulées. Qu'elles (les proies) soient cachées derrière
le dos rond du petit peuple, par derrière le crâne rasé des macchabées
congelés, sous l'oeil révulsé des sans-grade, des sans-le-sou, dans la poche
trouée des laissés-pour-compte, ou même par-dessus le nez brisé des déclassés
sociaux.
A mort tous les mangeurs d'hommes donc... ! Cachant son
visage angélique derrière un foulard en toile mal cirée, Chalachou jure par le
nom (in) prononçable de son défunt trisaïeul de faire bouffer du pain noir à
tous ceux qui, leur vie durant, ont dévoré avec des mâchoires en fer forgé le
quignon de pain rachitique des autres. Tous les autres. Et chipé à la roulotte,
le chicot des sans- dents fixes. Jetant sa langue aux fauves affamés, Chalachou
se convertit -sans ablutions- dans le recyclage des morales usées et des hommes
usagés. Pour sauver l'infra-peuple des crocs en pierre taillée des affineurs de
chair fraîche, Chalachou décida même d'inventer, à partir d'une gousse d'ail
frelatée, un poison anti-triche. Pour faire rendre gorge à tous les pourris
putréfiés, en verlan, les ripoux décomposés, les chefs cuistots des râteliers
sans étoile, les soudoyés par vocation, les prévaricateurs par formation, les
concussionnaires passés maîtres en malversations de haut vol, les exacteurs
riquiqui, les «pourboireux» véreux, les «tchipeurs» morveux et avec dans la
gamelle cradingue toute l'engeance de ceux qui soudoient un mammouth pour exploser
la tête à un hyménoptère. Croyant dur comme fer au principe en voie
d'extinction que le vendu n'est jamais collé qu'aux basques crados de celui qui
l'a acheté, Chalachou se retrouve nez à nez face à la faune imbattable des
suceurs d'huile de coude. Il fut condamné à l'encagement, jusqu'à la preuve par
neuf de sa bonne foi annoncée. Désespéré, Chalachou jeta sa langue dans la
fosse aux anthropophages, avant d'enfiler son armure de voleur d'auges pour
trouver une camisole en fil barbelé en mesure de le protéger contre l'appétit
rapace de la faune des bouffeurs de chair fraîche. Dans un geste preux,
Chalachou offrit à la «race» envahissante des mangeurs d'hommes une décoction
létale, faite de viande de baudet enragé, rôti à petit feu sur un plateau en terre
cuite. Parce que pour Chalachou, quoi de plus radical que d'enfoncer une
potence chauffée à blanc dans la gueule... aux danaïdes de ceux qui n'ont
jamais savouré que du gibet... Ainsi aimait parler Chalachou au peuple des mal
compris !