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Laminé par les
urnes, Moncef Marzouki est le grand vainqueur des législatives du 26 octobre en
Tunisie.
Les élections législatives du 26 octobre en Tunisie ont été cruelles pour les hommes qui, en compagnie des islamistes d'Ennahdha, ont organisé la transition. Le Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, et Ettakattol (le Bloc) du président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaâfar, sortent laminés de l'épreuve. Sur un plan strictement électoral, ils sont sur le point de disparaitre de l'échiquier électoral, tant leurs scores sont faibles. De manière très classique, ces deux partis, avec Ennahdha, subissent un vote sanction à cause de la désillusion post-révolution. La révolution tunisienne, depuis la chute de Ben Ali, a certes permis à la Tunisie d'avancer sur le plan démocratique, mais elle n'a pas concrétisé les rêves démesurés que charrie une telle aventure. Les difficultés économiques liées à la transition, avec l'instabilité, la méfiance des investisseurs et l'hésitation des touristes, aggravées par la crise économique mondiale, ont sérieusement réduit la marge de manœuvre des différents gouvernements qui se sont succédés. Quel que soit le régime, il est difficile, avec un taux de croissance de moins de trois pour cent, de concrétiser les formidables aspirations d'une population avide de mieux-être. Toutefois, le vote-sanction n'explique pas tout. Trois autres facteurs ont contribué à ce retournement de situation. Le premier est lié à la nature du vote. Lors des législatives d'octobre 2014, chacun a voté pour son clan, sa tribu, son idéologie. Et le vote a confirmé cette tendance, déjà observée en Algérie et au Maroc : l'électorat se divise en trois grands tiers, islamiste, conservateur (appelé nationaliste en Algérie), et « moderniste », regroupant des courants laïcs, laïcisants, démocrates ou non, de gauche ou d'extrême gauche, mais aussi des libéraux. HOMME D'OUVERTURE Dans une campagne électorale où chaque camp se crispe pour mobiliser ses troupes, il est difficile à un courant transpartisan, comme celui de Moncef Marzouki, de collecter des voix. Marzouki n'est pas islamiste, mais musulman. Il est « droit-de-l'hommiste », et a toujours refusé de fermer les yeux quand les islamistes étaient la première cible de la répression sous Ben Ali. Tunisien de nationalité, maghrébin de formation, musulman de culture, universaliste, comme le montre son combat pour les Droits de l'Homme, il a un profil forcément difficile à ranger dans une case pour attirer un électorat bien défini. Ce qui le condamnait à un piètre résultat aux élections du 26 octobre. Le deuxième facteur qui explique le retournement de situation en Tunisie est extérieur : aucune transition, depuis celle d'Europe de l'Est et d'Afrique du Sud, n'a bénéficié d'un consensus international aussi puissant. Etats-Unis, France, Algérie, Qatar, tout le monde a poussé dans la même direction, parfois pour des raisons différentes. Après les dramatiques dérives libyenne et syrienne, le « printemps arabe » risquait de sombrer. Il fallait un modèle positif. Ce sera la Tunisie. DICTATURE ? Le troisième facteur, le plus controversé, concerne le régime de Ben Ali. C'était un régime policier, certes, mais pas une dictature au sens traditionnel. De larges couches de la société y avaient leur place, et une véritable classe moyenne s'était constituée, à l'ombre du pouvoir, pas malheureuse de pouvoir faire des affaires sans trop se mouiller. D'autant plus que durant la dernière décennie Ben Ali, la répression s'était concentrée sur les islamistes. A l'exception du premier cercle autour de la famille de Ben Ali, les autres hauts responsables n'étaient pas forcément considérés comme dangereux. Et la Tunisie, contrairement à la Libye, comme l'a souligné un analyste, a refusé de voter une loi d'exclusion contre les cadres de l'ancien système, ce qui aurait privé la Tunisie d'une bonne partie de son personnel politique. Quant à Marzouki, il était clairement dans un paradoxe. Si la Tunisie réussit sa transition, cela signifie que Mazouki a mené sa mission à son terme. Il devient dès lors inutile. Le pays peut revenir à ses clivages sociologiques traditionnels. Un peu comme un médecin : si on n'a plus besoin de lui, c'est qu'on n'a pas de problème de santé. LE PARADOXE MARZOUKI L'élection du 26 octobre, apaisée, sans incident notable, a montré que la Tunisie avait franchi un cap. Marzouki a donc partiellement réussi sa mission. Son rôle historique était de mener la Tunisie, sans trop de dégâts, d'un point A, la chute de Ben Ali, à un point B, l'organisation d'une élection présidentielle libre. Il l'a fait. Doit-il rentrer chez lui? Oui, à condition que ses successeurs aient la lucidité nécessaire pour ne pas revenir à leurs sectarismes traditionnels. Auquel cas Marzouki peut encore servir, car lui a la capacité de s'adresser à tout le monde et de dépasser les cloisonnements étouffants en vigueur dans chaque camp. Ce sera le grand enjeu de la prochaine présidentielle du 27 novembre : alors que Marzouki, qui a peu de chances d'être élu, serait le garant d'une présidence ouverte à tous, pour consolider la transition, une victoire de Beji caïd Essebsi serait une revanche contre les islamistes, avec tous les risques de dérapage que cela peut entrainer. Faut-il rappeler que Essebsi a, dans une autre vie, été le patron de la police qui, en Tunisie, est l'équivalent du DRS en Algérie ? Son retour au pouvoir tomberait au plus mal. D'autant plus qu'il a l'aval des Occidentaux, qui affirment aujourd'hui que Ben Ali et Kadhafi étaient un moindre mal. |
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