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La mission du Cheikh

par K. Selim

C'est le grand rush pour le palais de Carthage. A quelques heures du deadline, le 22 septembre, une trentaine de dossiers de candidatures ont été déposés au niveau de l'Instance électorale (ISIE) en Tunisie. Toutes les candidatures ne seront pas retenues mais les Tunisiens, c'est le cas de le dire, auront l'embarras du choix, le 23 novembre prochain. On retrouve en course le président sortant, Moncef Marzouki, le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, Ettakatol, deux ex-alliés dans l'ex-Troïka. Il y a également le vieux Béji Caïd Essebsi, du mouvement Nidaa Tounes, d'anciens ministres sous Ben Ali?

L'éventail est large et à l'évidence l'exclusion pour avoir été dans l'ancien système n'est pas de mise. En attendant la campagne électorale et le choix des Tunisiens, le fait politique majeur est bien dans ceux qui ont décidé de s'abstenir d'aller dans la course vers le Palais.

Le chef du gouvernement, Mehdi Jomaâ, a annoncé qu'il n'était pas candidat, mais c'est bien un non-évènement. Sa désignation au poste de chef du gouvernement pour dénouer une longue crise de confiance entre les acteurs politiques postulait clairement que sa mission était de terminer la transition. Et qu'il ne pouvait être candidat.

Le vrai évènement est bien du côté du mouvement Ennahda qui a décidé, alors que rien ne le lui interdisait, de ne pas présenter de candidat. Certains ont choisi d'expliquer cette décision par un réflexe de peur après le coup d'Etat contre les Frères musulmans en Egypte.

Même si elle existe, cette «peur» ne doit pas être exagérée. La Tunisie n'est pas l'Egypte et rien, pour l'instant encore, ne crédite l'existence d'un changement du rapport de forces dans le pays.

Les «modernistes» sont fortement présents dans les médias, ils ne le sont pas forcément dans le pays réel. Les appels à «coup d'Etat» n'ont pas fonctionné et la Troïka, tant décriée par ces modernistes, aura servi, au moins, à éviter toute tentative de revenir en arrière.

Le mouvement Ennahda n'est pas dans la course à la présidentielle mais il est dans la bataille législative où il a de fortes chances de l'emporter. Son choix politique de ne pas s'engager dans la bataille présidentielle est clairement destiné à montrer qu'il n'a pas de volonté hégémonique et qu'il ne veut pas contrôler tout l'exécutif.

Mais il ne se désintéresse pas non plus de l'élection présidentielle puisqu'il appelle à favoriser un candidat consensuel qui serait un recours et un arbitre dans les inévitables disputes politiques.

Ennahda, qui n'a pas encore dit son «choix» parmi les candidats en lice, se retrouve ainsi dans la capacité de peser considérablement sur l'élection présidentielle. Il est probable que l'homme «consensuel» que le mouvement choisira de soutenir aura le plus de chance d'être le futur locataire du palais de Carthage.

Marzouki, Essebsi, Ben Jaâfar?, la question est importante mais secondaire à côté du choix stratégique d'être un faiseur de présidents plutôt que d'avoir un candidat à l'élection. Cela lui permet également de se concentrer sur l'élection législative, décisive, du 26 octobre.

On pourra chercher plein de «calculs» dans la démarche d'Ennahda et de Ghannouchi. Mais leur action va clairement dans le sens de l'enracinement de la démocratie?

Il y a bien un «effet Sissi» sur l'attitude d'Ennahda, mais ce n'est pas celui de la peur. Ghannouchi et son mouvement se sentent investis de la mission de prouver qu'une transition démocratique avec les islamistes n'est pas une impossibilité. Et à l'évidence, malgré les difficultés immenses de la transition, ils sont en train de le démontrer.