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La fenêtre : miroir abîmé du monde qu'elle reflète.
Généralement fermée. Surtout depuis les années 90. Le « Dehors » est une menace
pour l'habitant. L'intérieur est un pays indépendant. La fenêtre est ma frontière.
Plus que la porte. La porte est un battant, la fenêtre est un demi-mur. En
gros, la fenêtre est l'espace de la femme. Depuis les plus vieilles histoires
orientales, d'amour ou de règnes. La femme s'y cache mais regarde. Elle y
enjambe son corps, lève le voile de la pierre et surveille. Ou suspecte. Ou
soupçonne ou espionne. Le monde vu par une fenêtre est toujours un début
d'histoire. Le monde vu par une porte n'est qu'un début de chemin. Topographie
: d'abord l'antenne parabolique. Posée en angle tournée vers l'est pour écouter
les dieux. C'est la fenêtre des cieux. En haut de la lucarne : le moteur du
climatiseur ; fuir le soleil. Puis le fil à linge qui sèche. Bribes de soi, de
ses goûts, de son intérieur et de son intimité. On y lira l'âge de la femme, le
nombre des enfants, la profession du chef de famille ou les liens du corps.
Puis le barreaudage. Cette immense prison de soi parmi les siens. Oeuvre des
années 90. Source du vieux paradoxe : les Algériens s'enferment et n'enferment
pas leurs criminels. Les années 90 sont les années Ferronnier. Les années 80
ceux du Jerrican. Les années 2000 ceux du LSP et de la Clio blanche. La fenêtre
est le lieu de rupture entre le pays et ses habitants. Les fenêtres y sont
petites et pas ouvertes sur le ciel pour apporter la lumière. Elles sont des
yeux baissés. Le pays des fenêtres fermées. Parfois on y entraperçoit le gamin
accroché au barreau. Preuve d'une mère nouvelle ou dépassée. Scène qui vous
tord le cœur malgré son kitch. Preuve de l'enfermement de l'espace dans le seul
corps d'un enfant. Parfois c'est la femme qui s'y penche et regarde : instant
de liberté rêvée. Moment de voltige pour la femme coupable de son corps. Un
bref regard sur l'infini interdit puis recul brusque : peur que le regard ne serve
de corde à escalader pour les mâles errant en bas de l'immeuble. Le voile est
aussi de pierre et la fenêtre est un visage. D'amour entamée, de tours. C'est
le lieu du signe de la main et du battant qui dit des mots.
Parfois la fenêtre est un cri ou un refus : le propriétaire la repeint en rose hurlant sur la façade d'un immeuble peint en beige. Des restes de pots de peinture ? Envie de tracer sa frontière ? Impossibilité du projet commun : l'immeuble ne me concerne pas. Seulement ma porte et ma fenêtre et mon balcon. Fenêtre en clown, ridiculisée par le maître des lieux, peinturlurée comme ces enfants condamnés à s'habiller avec le mauvais goût de quelques parents cupides ou idiots. La fenêtre a l'air d'un oiseau en cage qui a perdu un nom. D'autres fois, c'est pire : la fenêtre est tuée vivante, emmurée. Condamnée puis enfermée dans le balcon qui servira d'extension à la cuisine ou à la chambre : îlots hideux de briques nues sur une façade d'immeuble neuf. Oeil éteint qui servira de mur. Collection d'appartements qui ont cet étrange air de tourner le dos à l'immeuble qui le porte. Les façades sont un terrain vague vertical : on ne les respectent pas. On en fait ce que l'on veut : décharges, terrains de jeu, marges. La fenêtre est un espace fragile comme la vitre qui est son âme. Villes de millions de fenêtres. Fermées ou mortes. Enfermées. Séparant le pays du pays de chacun. Lieu laid. Passer des heures à en regarder l'étrange essaim immobile dans les nouvelles cités du relogement. Reflet emmuré du reste du pays. Fascinante. Comme ces pierres de l'enfance que l'on retournait pour voir s'agiter, en dessous, les fourmis agitées ou les insectes réveillés. C'est vendredi : mis à part les fenêtres, il n'y a rien qui capte le regard. |
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