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L'interdiction de la manifestation de solidarité aux Palestiniens à
Paris, samedi dernier, révèle toute l'ambiguïté de la France, vis-à-vis de la
question palestinienne : garder ses intérêts arabes et soutenir Israël. Gros
dilemme, hérité de son histoire, dans la région du Proche et Moyen-Orient.
A chaque fois que la tension monte en Palestine occupée et que la violence s'abat sur les Palestiniens, la France vit, à son tour et à la différence des autres pays européens, des moments de tensions communautaires, vus par les responsables politiques (et les médias) comme «l'importation du conflit israélo-arabe en France». Qu'est-ce qui fait cette particularité française par rapport à ce conflit ? Pourquoi le conflit israélo-arabe, réduit à la colonisation violente de la Palestine, soulève-t-il, tant de passions et d'attitudes contradictoires, en France, plus qu'ailleurs ? Certains expliquent cette situation particulière par la présence en nombre des communautés juive et arabe. La France est le pays européen où vit le plus grand nombre d'arabes et de juifs. C'est l'argument des extrémistes de droite et des racistes, en tous genres, qui sous-entendent l'échec de l'intégration des citoyens français d'origines juive et arabe, dans le modèle français. Ce doute sur la sincérité patriotique de cette grande partie de citoyens français alimente les peurs entretenues par un discours politique à des fins électoralistes et de conquête du pouvoir. Il est frappant que le gouvernement français soit le seul pays européen à avoir interdit la manifestation, en soutien au peuple palestinien, du samedi 20 juillet. Les conséquences ont été immédiates : la capitale française a été la seule capitale européenne où la manifestation a dégénéré en heurts violents avec les forces de l'ordre, rappelant les scènes classiques qui se déroulent entre Palestiniens et forces de sécurité israéliennes, en Palestine occupée. «Le conflit ne doit pas être importé en France» a répété le président français, dans une intervention, devant les caméras de TV de son pays. Conclusion ridicule, si pas trop cynique, à laisser entendre que Paris risque de devenir Ghaza ! En revanche, oui, la France a une relation particulière à la situation au Proche et Moyen Orient : depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale et la création de l'Etat d'Israël en 1948, la France se trouvait face à un dilemme «géostratégique»: comment soutenir la création de l'Etat hébreux sans s'aliéner les peuples des pays arabes sous son empire colonial ? Tout en aidant, secrètement, en armes, le mouvement sioniste, dès la fin de la 2ème Guerre mondiale, la France encourageait l'immigration des juifs vers le nouveau foyer juif, en Palestine. La position française va s'aggraver et se compliquer à partir de 1955 et la signature du «Pacte de Baghdad» par les «alliés concurrents» de la France. En pleine guerre froide, la Grande-Bretagne, la Turquie, l'Iran, l'Irak et le Pakistan signent une entente militaro- politique pour contenir l'influence de la nouvelle URSS. Ce pacte, rejoint par les USA, en 1958, vient boucler la «ceinture de sécurité», autour de l'URSS, entamée avec l'autre pacte dit «OTASE» qui réunissait les pays du Sud-Est asiatique. La France craint (à juste titre) de perdre son influence sur ses colonies, dans les régions du Moyen-Orient, d'Afrique du Nord et celle du Sud-Est asiatique (Vietnam, Cambodge, Laos, etc.). Du coup, et pour ce qui concerne Israël, la France s'invente une politique dite «des Trois France»: se considérant comme «la fille aînée de l'église», elle revendique sa tutelle sur Jérusalem et les lieux-saints judéo-chrétiens et demande réparation des destructions des nombreuses institutions religieuses et culturelles commises, lors de la guerre israélo-arabe, de 1948 et dont elle avait la charge de l'entretien. Ensuite, en tant que 1re puissance en Méditerranée, la France doit tenir compte des effets de la création de l'Etat d'Israël chez les peuples colonisés d'Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc, Mauritanie). Enfin, pour se racheter de sa complicité dans la «Shoah» et regagner sa réputation humaniste et sa résistance, face au nazisme, elle soutient le nouvel Etat juif, en Palestine, Etat qu'elle n'a reconnu qu'en 1949, malgré la résolution de l'Onu de 1948. C'est cette position bancale et «inconfortable» de la France, vis-à-vis de la création de l'Etat d'Israël qui va influer, à ce jour, sur les relations franco-israéliennes (et arabes). En résumé, la France est tiraillée entre ses intérêts économiques et géostratégiques, dans le monde arabe et son alignement sur ceux des Américains auxquels adhérent ses voisins européens, depuis le « Pacte de Baghdad». Cette ambiguïté française va se compliquer avec l'arrivée, en 1952, des militaires nationalistes égyptiens, au pouvoir au Caire. Leur leader Jamal Abdel Nasser s'allie, ouvertement, avec la Russie, nationalise le Canal de Suez, en 1956, et apporte son soutien au nationalisme arabe et surtout à la révolution armée algérienne, dès 1954. Nasser lance l'idée d'une alliance avec la Syrie (et le Liban), colonies françaises et s'oppose à l'extension de l'Etat d'Israël. Du coup, pour affaiblir le leader égyptien, la France va être le premier pays à aider Israël dans la construction d'un complexe nucléaire lui permettant la production d'ogives nucléaires et résister à l'Egypte. Voilà, la France officielle déchirée entre sa volonté de garder ses colonies arabes et son «devoir» d'aider Israël. Cet héritage de l'histoire controversée, parfois violente, entre la France et les pays arabes et sa complicité dans l'extermination des juifs, durant la Seconde Guerre mondiale pèsent, aujourd'hui, encore, dans le présent français. En ce siècle nouveau qui se construit sous une mondialisation, tous azimuts, qui remodèle les zones d'influences et crée de nouvelles alliances, la France restera ce pays vu, à la fois, comme ami et ennemi, autant par les pays arabes, qu'Israël, tant qu'elle ne se libère pas de son «traumatisme historique» dû à la perte de son statut d'ancien empire colonial. Et interdire, à Paris, une simple manifestation de solidarité avec les Palestiniens ne sortira pas la France de son attitude contradictoire, vis-à-vis de la question palestinienne. Au contraire, l'interdiction a donné aux ultras de qualifier la France de soutien inconditionnel de l'Etat hébreux, d'autant plus que ce même samedi, le Premier ministre français se recueillait à la mémoire des victimes raflées du Vel-d'Hiv (vélodrome d'hiver), de 1942. Ont-ils tort ? |
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