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CANBERRA - Il n’existe qu’une seule justification possible - morale, politique, ou militaire - à une nouvelle intervention occidentale, ou à quelque autre intervention militaire extérieure en Irak : honorer la responsabilité internationale de protéger les victimes, avérées ou potentielles, contre l’horreur des crimes de masse, que ce soit le génocide, le nettoyage ethnique ou tout autre crime contre l’humanité, ou les crimes de guerre majeurs.
Les shiites, ou tout non sunnite, qui se trouveraient sur le chemin de la maraude de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) – groupe dont l’extrémisme idéologique et comportemental dépasse même celui d’Al Qaeda – ont bien des raisons de craindre de telles atrocités. De terribles exécutions de prisonniers militaires ou non ont sans aucun doute eu lieu à Mossoul, Tikrit, et d’autres villes reprises par l’EIIL. Mais sur la base des éléments actuellement disponibles, il serait prématuré de conclure que des violences contre des individus sans défense ont eu lieu - ou sont imminentes - à une échelle suffisante pour justifier une intervention militaire extérieure. Les spécialistes se sont trompés sur presque toute la ligne concernant ce nouvel épisode de violence, mais on peut malgré tout dire de la situation militaire globale que la crise est passée. La mobilisation des milices shiites signifie qu’il est peu probable que l’on assiste au pire scénario que serait la chute de Bagdad, en dépit de l’effondrement presque total de l’armée iranienne. De ce point de vue, on peut s’attendre à une guerre civile prolongée dont l’issue la plus probable à long terme sera une scission définitive selon des divisions ethno-sectaires. Selon ce scénario, les Kurdes contrôleraient le nord, les sunnites l’ouest et le centre, et les shiites occuperaient Bagdad et le sud. Il est difficile de défendre l’idée d’une d’intervention militaire visant à soutenir l’actuel gouvernement et lui permettre de rétablir son autorité sur l’ensemble du pays. Le Premier ministre shiite Nouri al-Maliki a fait preuve d’un comportement brutal, corrompu, et outrageusement sectaire – mettant lourdement dans l’embarras non seulement ses soutiens aux Etats-Unis mais aussi en Iran. Prendre son parti dans une guerre civile intra-communautaire, même si cela devait aider au si nécessaire rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran, ne ferait qu’attiser le feu sous le chaudron moyen-oriental. Les choses seraient peut-être différentes si al-Maliki pouvait être convaincu de quitter sa fonction pour laisser place à une administration élargie constituée de shiites, de sunnites et de kurdes, et déterminée à gouverner de manière inclusive et à reconstituer une armée nationale neutre et efficace. D’énormes efforts diplomatiques devraient être mobilisés pour atteindre cet objectif. Mais cette perspective a échoué par le passé et il ne se trouve aucun signe dans ce sens sur le plan intérieur. Même si l’on parvenait à une telle issue politique, il serait difficile d’évaluer la valeur ajoutée d’une intervention militaire extérieure pour supprimer l’EIIL en tant que force militante sunnite. Il se pourrait que l’aide consultative et technique limitée proposée aujourd’hui par les Etats-Unis soit d’une quelconque utilité. Mais au-delà de cela, il faut des cibles pour justifier des attaques aériennes, ce qui est illusoire en l’absence de toute action militaire – et trop souvent, elles entraînent des victimes civiles innocentes. On se souvient que la présence de 150 000 paires de bottes étrangères sur le terrain n’a pas suffit à stabiliser le pays après la terrible et peu judicieuse intervention militaire américaine de 2003. Mais rien de tout cela ne signifie que l’option militaire extérieure devrait être éliminée dans le cas d’atrocités de crimes de masse avérés – ou prévisibles de manière imminente – par l’EIIL ou qui que ce soit d’autre. En 2005 à l’ONU, cent cinquante chefs d’Etat et de gouvernements ont unanimement soutenu le principe de la responsabilité de protéger (« R2P ») les populations en danger, qui dans les cas extrêmes peut prendre la forme d’une intervention militaire autorisée par le Conseil de sécurité, comme ce fut le cas en 2011 en réponse aux agissements du régime Kadhafi en Libye. C’est un désaccord sur l’usage de ce mandat pour soutenir un changement de régime, plutôt que de se limiter à la protection des civils, qui avait paralysé le Conseil de sécurité alors que des atrocités similaires étaient commises en Syrie. Mais le soutien international pour les principes de base de la R2P reste fort, et le Conseil lui-même continue de recourir à la terminologie « responsabilité de protéger » dans ses résolutions et ses déclarations (en douze occasions depuis les premiers évènements en Lybie). Il n’est pas impossible d’envisager la réémergence d’un consensus si de nouvelles atrocités sont perpétrées en Irak. Bien sûr, aucune intervention ne sera ou ne devra être approuvée en pratique à moins qu’elle ne réponde à différents critères moraux et prudentiels, ce qui, même si ces derniers n’on pas encore été officiellement adoptés par l’ONU, est à l’origine de nombreux débats et d’une reconnaissance dans la communauté internationale au cours des dix dernières années. Ces critères sont : que les atrocités avérées ou craintes soient suffisamment sérieuses pour justifier, prima facie, une réponse militaire; que les motifs soient principalement d’ordre humanitaire ; qu’aucune réponse de moindre envergure ne soit jugée suffisamment efficace pour mettre fin au danger ou l’infléchir ; que la réponse proposée soit proportionnelle à la menace ; et que l’intervention soit efficace, apportant plus de bien que de mal. Ces critères, particulièrement le dernier, seront toujours difficiles à satisfaire. Mais s’il s’avérait qu’une action soit effectivement nécessaire en Irak, nous ne devrions pas nous laisser ronger par la crainte d’une redite de l’intervention peu judicieuse de 2003, qui fut un échec – comme ce fut le cas au Cambodge, au Rwanda, en Bosnie et si souvent un peu partout – pour réagir, ainsi que l’exige notre appartenance commune à l’humanité. Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats * Dirige aujourd’hui le Centre pour la responsabilité de protéger à New York. Ancien ministre australien des Affaires Etrangères et ancien président du Groupe de crise international. |
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