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A 24 heures du match contre l'Allemagne : Jeûner ou pas, un débat qui divise

par Yazid Alilat



«Niet». C'est la réponse du coach Vahid à une journaliste qui l'interrogeait après le match contre la Russie si les joueurs de la sélection algérienne qui va affronter un des favoris de ce mondial brésilien vont jeûner.  

Devant l'insistance des journalistes, Vahid Halilhodzic ferme tout de suite le débat : «Nous sommes là pour parler football, n'est-ce pas ? Alors, il faut arrêter de poser ce type de question». Or, c'est justement ce type de question qui focalise le débat actuellement autant parmi les supporters algériens que les spécialistes. Le ramadhan, qui débute aujourd'hui sera également observé au Brésil qui compte une forte communauté arabe et des musulmans brésiliens. La question est ainsi posée: face à l'Allemagne, qui compte deux musulmans, dont l'un, Mesut Özil, a déjà éludé la question, l'équipe nationale va-t-elle observer le jeune ou non ? Le coach a-t-il laissé le choix aux joueurs, comme l'a fait Didier Deschamps pour les musulmans de la sélection de France ? Ce qui est sûr, c'est qu'ici, en Algérie, il y a eu grosso modo deux grandes fatwas sur le sujet. Il y a d'abord celle de cheikh Mohamed Mekerkeb, membre de l'association des oulémas, cadre à l'inspection de la Direction de l'Education de Blida. Pour lui, un match de football, quelle qu'en soit l'importance, n'est qu'un jeu. Dès lors, il n'est pas éligible pour entrer dans les cas de dispense du jeûne durant le ramadhan, selon la Sunna et le Coran.»Il n'est pas licite (pour les joueurs algériens) de rompre le jeûne pour un jeu», et a encouragé les joueurs à jeûner, car «Dieu est avec les jeûneurs». Mieux, cheikh Mekerkeb va plus loin en relevant que les joueurs algériens «peuvent jouer et faire le jeûne en même temps». Pas de place pour le doute pour lui, car «c'est un jeu», et «Dieu ne leur a pas imposé la charge de jouer pour qu'ils en fassent argument pour ne pas jeûner». Djeloul H'djimi, de la Coordination des Imams, va dans le même sens, mais lui, il souligne qu'il revient à la FIFA de changer les règles de la compétition et de permettre de faire les matchs en nocturne quand la Coupe du Monde coïncide avec le ramadhan. Bien évidemment, il recommande vivement aux joueurs de faire le jeûne car actuellement «le temps est frais et les journées courtes au Brésil». Les avis de ces deux cheikhs divergent cependant avec d'autres sur la question de savoir si oui ou non, selon les préceptes de l'islam, les joueurs algériens peuvent reporter leur jeûne pour jouer contre l'Allemagne. Cheikh Mohamed Cherif Kaher, président de la Commission des fatwas du Haut Conseil islamique (HCI), estime, quant à lui, que les joueurs engagés pouvaient s'abstenir de jeûner.

Cheikh Maamoun El Quassimi, membre du HCI, suit la tendance et relève que les «joueurs doivent rester dans l'intention (nia) de faire le jeûne jusqu'à ce qu'ils commencent à jouer durant le ramadan, ils peuvent dans ces conditions rompre le jeûne». Décodé, cela veut dire qu'un joueur qui n'est pas titulaire, peut jeûner jusqu'au moment où il doit rentrer sur le terrain.

TOUT SEMBLE AVOIR ETE PRIS EN CHARGE

En fait, cette question semble avoir été prise en charge par le staff technique et médical bien avant la qualification au second tour, qui coïncide avec le ramadhan. La délégation algérienne au Brésil compte dans ses rangs le Dr. Hakim Chalabi qui mène des travaux sur le sport à la réputée clinique des sportifs d'Aspetar à Doha au Qatar. Mieux, le Dr. Hakim est un des plus importants consultants de la Fifa sur la question du jeûne chez les footballeurs. Pour lui, «c'est une période (le jeûne en faisant du sport) où le risque de blessures augmente, notamment au niveau des lombaires, des articulations et des muscles». Essentiellement d'ailleurs en raison de la déshydratation et non de l'absence d'alimentation. Il l'explique : le niveau de nutrition doit changer. Il faut aussi modifier la qualité des aliments afin de s'adapter à l'exercice. Les joueurs doivent mieux s'hydrater. Nous leur conseillons en outre d'allonger la durée de la sieste pendant l'après-midi, afin de récupérer une partie du temps de sommeil». Le capitaine des Verts, Madjid Bougherra, positive: «le plus dur, c'est l'hydratation. Mais ça va, le climat est bon. Certains joueurs peuvent reporter leurs jours. A titre personnel, je vais voir en fonction de mon état physique mais je pense le faire».

AU BRESIL, LE MAGHREB A 17.30

Au Brésil, la température est bonne et la rupture du jeûne est à 17.30, soit une demi-heure seulement après le «kick off» (début de la partie) contre la Mannschaft. Bougherra enchaîne: «C'est plus mental. Souvent, il faut montrer aux entraîneurs qui ne sont pas d'accord avec l'observation du jeûne qu'on est là à 200%. J'ai pu être un peu boycotté à cause de ça, on était trois ou quatre musulmans à l'entraînement mais on était toujours les premiers en tests physiques. On s'en sortait sans problème». Hakim Chalabi, par ailleurs ancien médecin du PSG, insiste: «On nous demandait souvent d'inciter les joueurs à ne pas observer le jeûne, mais curieusement, il y a des sportifs qui ont de meilleurs résultats pendant le Ramadan parce que le jeûne est désiré. Cela peut même devenir une aide spirituelle et psychologique».

ÖZIL, SAGNA ET LES AUTRES

Les mêmes interrogations et le même débat anime également certaines sélections qualifiées aux huitièmes de finales, dont l'Allemagne et surtout la France. Le meneur de jeu allemand Mesut Özil, turc d'origine, a tranché. «Je travaille et je vais continuer à le faire. Donc je ne ferai pas le ramadan car je travaille. C'est impossible pour moi de le faire cette année». Son coéquipier Samy Khedira, tunisien d'origine, ne s'est pas encore exprimé. Au sein de l'équipe de France, le débat est présent, mais évité par le sélectionneur, Didier Deschamps, qui a expliqué qu'il n'avait «rien à ordonner» à ses joueurs de confession musulmane. «Ce sont des sujets sensibles et délicats. Je n'ai rien à ordonner. On respecte la religion de tout le monde. Les joueurs ont l'habitude, ce n'est pas aujourd'hui que l'on découvre la situation. Je n'ai aucune inquiétude et chacun s'adaptera à la situation». Le défenseur Bacary Sagna, qui évolue dans le championnat anglais, a été clair, vendredi, il a indiqué qu'il ne va pas observer le jeûne. «Je sais qu'il y a certaines lois entre guillemets qui permettent de l'éviter (de le décaler). Mais chacun est libre de faire ce qu'il veut. Je respecte ceux qui vont le pratiquer et je ne pense pas que ce soit un problème ou que ça change quoi que ce soit. Si on le fait, il faut assumer et être prêt, surtout ne pas avoir de carences car, à ce niveau-là, ça ne pardonne pas», a-t-il répondu en conférence de presse.

Il précise: «Le staff n'a rien modifié à ses habitudes. Et pour être honnête, on n'en a jamais parlé». Karim Benzema, Paul Pokba, Moussa Sissoko et Mamadou Sakho ne se sont pas, quant à eux, exprimés sur le sujet. Pour l'équipe nationale, il s'agit surtout de respecter un vœu exaucé : s'ils se qualifiaient, ils avaient décidé de jeûner.