Dissuasif ou coup
d'épée dans l'eau ? L'arrêté ministériel signé au mois de ramadan dernier par
l'ex-ministre des Finances, M. Karim Djoudi, et publié le mercredi 4 juin 2014
au Journal officiel n° 30, dont l'intérêt évident est de renflouer les caisses
du Trésor, punit quiconque se rendrait coupable d'établissement de fausse
facture ou de facture de complaisance d'une amende fiscale égale à 50% de leur
valeur. Une sanction sévère sur le plan financier, certes, surtout si l'on
considère que ces fausses factures portent souvent de gros chiffres, mais les
bénéfices attrayants de la fausse facture peuvent bien mener à la tentation du
diable. Qu'on en juge d'après la définition de la fausse facture, détaillée du
reste par les articles de l'arrêté en question et qui stipule que la fausse
facture est établie sans avoir procédé à aucune livraison ou prestation dans le
but « de minorer les bases d'imposition aux différents impôts et taxes, de
dissimuler des opérations, de déplacer et blanchir des capitaux, de détourner des
fonds de l'actif et de financer des opérations illicites, ou licites, d'obtenir
certains avantages tels que le droit de déduction en matière de TVA et des
prêts auprès des établissements bancaires aux fins de financement de projets
d'investissement ». Rien que cela ! Ce sont là des charges très graves qu'on
retiendrait contre tout responsable ou chef d'entreprise qui sera jugé coupable
d'émission d'une fausse facture ou de l'avoir reçue, des charges qui, comme
tout faux en écriture, constituent un délit pénal. Pourtant, l'arrêté
ministériel se réfère strictement aux dispositions des articles 65 de la loi de
Finances pour 2003 et 219 bis du code des impôts directs et taxes assimilées,
sans faire lien aux articles du code pénal. Chose qui donne un goût d'inachevé
ou d'incomplet à cet arrêté, car on aurait été certainement plus dissuasif en
matière de lutte contre la circulation des fausses factures si la dimension
pénale du délit n'est pas « faussement » exclue, estiment des avis de
spécialistes en matière juridique. D'où l'estimation d'un effet limité, voire
très réduit, de la portée de l'arrêté en question dans le milieu des
trafiquants. « Les chefs d'entreprises chez nous deviennent talentueux,
ingénieux, lorsqu'il s'agit de tromper le fisc ou de décrocher un quelconque
marché ou prêt financier, ils trouveront toujours la manipulation comptable la
plus incontrôlable pour glisser les fausses factures. Et puis, s'ils sont
débusqués, ils payeront cette amende de 50% du montant de la facture sans trop
rechigner car n'ayant pas eu à subir des dommages assez significatifs sur la
balance gain/perte, même si l'on ajoute en plus le rappel des montants de la
taxe qui aurait dû être acquittée et qui correspondent à la réfaction opérée en
matière de taxe sur l'activité professionnelle », nous confie un contrôleur du
fisc. En plus, il faut vraiment fouiner dans les chiffres de la comptabilité
pour faire la différence entre le faux et le vrai document. «Difficile de les
déceler ces fausses factures ou autres factures de complaisance (ndlr, celle-ci
est le fait de camoufler ou de dissimuler sur une facture, l'identité ou
l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, ou d'accepter sciemment
l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom et ce, dans le but de
réduire le montant des impôts à payer ainsi que de détourner des fonds propres
à une entreprise ou à un individu et de les utiliser à des fins diverses), car
il faudrait pour cela procéder à des contrôles internes, à posteriori, en
tirant tout le fil des opérations réalisées (commande, réception des produits,
stockage, paiement au fournisseur, production, vente, paiement du client),
ainsi qu'aux contrôles de fond des documents et physique », relève encore des
sources avisées. Autant dire une opération gigantesque, impossible à négocier
dans le climat ambiant. « Quand des contrôleurs sont maltraités, insultés et
violentés par le petit commerçant du coin, les grosses légumes se mettent tout
de suite hors de portée », ironise un contrôleur des services de la lutte contre
la fraude commerciale.