Dire que rien ne
va plus en Libye serait un euphémisme tant le chaos semble être la norme dans
un pays où la légitimité institutionnelle a volé en éclats depuis la chute du
régime de Kadhafi. Milices islamistes surarmées, groupes révolutionnaires
autoproclamés, chefs de guerre tout-puissants, l'intrusion de l'ex-général
Khalifa Haftar sur la scène des combats a contribué, un peu plus, à brouiller
le peu de certitudes qui subsistent encore. Dimanche dernier, des milices de la
région de Zenten, qui contrôlent le sud de Tripoli, ont lancé une attaque
contre le Congrès général national (Parlement), la plus haute autorité
politique et législative du pays, décriée depuis sa décision de prolonger unilatéralement
son mandat. Les milices soutiennent l'opération lancée par Khalifa Haftar
vendredi dernier à Benghazi. Dans la soirée de dimanche, Mokhtar Farfana, le
chef de la Police militaire, originaire de la ville de Zenten, a annoncé la
suspension du Parlement dominé par les islamistes, Frères musulmans et
radicaux, parlant au nom des puissantes milices de Zenten qui ont déclaré, de
leur côté, ne pas compter rester au pouvoir. Selon certaines sources, elles
auraient demandé à l'Assemblée constituante de prendre la place du Parlement.
Après l'attaque éclair contre les locaux du CGN, les Zentanis, considérés comme
le bras armé du courant libéral en Libye, se sont retirés vers leur fief sur la
route de l'aéroport où des combats les ont opposés à des milices islamistes.
Les affrontements ont fait deux morts et 55 blessés, selon un bilan officiel.
Les Zentanis, qui pourraient également solliciter la Cour constitutionnelle
pour qu'elle dirige le pays en attendant la tenue de nouvelles élections, ont
insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un coup d'Etat. Le gouvernement
libyen en place a, quant à lui, dénoncé le recours par les milices «aux armes
pour exprimer des opinions politiques», tout en appelant au dialogue national.
Cette attaque survient 48 heures après l'offensive lancée par le général à la
retraite contre les groupes radicaux dans l'est du pays. Vendredi, Khalifa
Haftar a lancé à Benghazi une opération baptisée «Dignité» contre des groupes
islamistes lourdement armés. 79 morts et 141 blessés ont été enregistrés alors
que plusieurs officiers de la région orientale, y compris des forces aériennes,
ont rejoint l'ancien général de Khadafi, en menant des raids aériens contre les
bases de ces mêmes groupes radicaux. Considéré comme un relais des Américains,
Khalifa Haftar était un proche de Mouammar Kadhafi. Général d'armée, il est
capturé avec plusieurs centaines de soldats au Tchad à Ouadi Doum, en mars 87.
Kadhafi le lâche et Haftar change de camp pour rejoindre le FNSL, les
«contras», le plus important groupe d'opposants au guide libyen. Washington,
partenaire du Tchad, le repère et la CIA le forme, lui et quelque 700 hommes,
en vue d'une déstabilisation de Tripoli. Le général prend même la tête de
l'Armée nationale libyenne, la branche armée du FNSL. La chute d'Hissène Habré
et l'arrivée au pouvoir d'Idriss Déby chamboulent les cartes des Américains.
Washington exfiltre alors les «contras», d'abord au Nigeria et en RDC, puis au
Kenya. En route, la moitié d'entre eux rentre au pays. Haftar part aux Etats-Unis,
plus précisément à Vienna, en Virginie, à quelques kilomètres du siège de la
CIA. L'officier y passera plus de 20 ans, avant son grand retour au pays, en
mars 2011, dans le camp rebelle. En mars dernier, il appelle l'armée à prendre
le pouvoir puis cette campagne contre les islamistes de Benghazi accusés par
Washington d'avoir assassiné son ambassadeur. De quoi jeter le trouble sur le
rôle et les intentions de Haftar. De son côté, l'Union européenne se dit «très
préoccupée» par la situation actuelle en Libye. L'UE s'inquiète également de la
forte augmentation depuis le début de l'année des arrivées de migrants partis
de Libye. Un mouvement qui risque de s'accélérer au vu de la situation
sécuritaire actuelle. L'Arabie Saoudite, quant à elle, a fermé, hier, son
ambassade en Libye et évacué ses diplomates par avion spécial. L'ambassadeur
saoudien en Libye, Mohammed Mahmoud Al-Ali, a déclaré que la mission
diplomatique de son pays reprendra ses activités «dès la stabilisation de la
situation» en Libye. Cette fermeture vient après celle de l'Algérie qui avait
annoncé la fermeture de son ambassade et de son consulat général à Tripoli en
raison d'une menace pesant sur ses diplomates.