A l'évidence, la
tension sur le lait en sachet ne s'est pas atténuée dans la Ville des Ponts.
Les pères de famille, les ménagères sont soumis actuellement à un véritable
combat quotidien, sinon à un parcours du combattant pour pouvoir se procureur
le moindre sachet de lait. A tel point que les connaissances et le copinage ne
suffisent plus pour avoir le précieux sachet. Sur ce registre, les dépositaires
vivent parfois un véritable calvaire face à la demande insistante, aux insultes
de favoritisme et de rétention dont ils sont l'objet de la part de la
clientèle. Et à chaque jour que nous les rencontrons, les dépositaires nous
prient de signaler la tournure burlesque et parfois violente que prend, chaque
matin, la livraison et la distribution de cette précieuse denrée, par ailleurs
indispensable dans chaque foyer. Mais dans chaque quartier, les camions des
livreurs-distributeurs sont guettés par la foule qui s'abat sur eux une fois
arrivés et les sachets sont littéralement arrachés des bacs au grand dam des
distributeurs. « Il fallait voir le spectacle », nous a déclarés hier l'un de
ces commerçants dont la plupart ont abandonné la vente du lait à cause de ces
ruées sauvages qu'ils endurent de la part des clients qui, dans la mêlé,
partent sans payer. « On en a marre et je crois que je vais arrêter, attendu
que je n'arrive plus moi-même à faire face à la rapacité et la sauvagerie des
clients et que je n'arrive même pas à retenir quelques sachets pour ma
consommation personnelle », nous a confiés un dépositaire. Et de la sorte, la
crise ne fait qu'empirer. Ajoutons que depuis quelques mois, la distribution du
lait de vache en sachet se fait alternativement avec le lait ordinaire par
l'unité de production : un jour c'est le lait ordinaire qui est distribué, à
l'exclusion de toute autre catégorie, un autre jour c'est le lait de vache !
Mais la majorité des consommateurs n'ont pas de penchant particulier pour cette
dernière catégorie de lait qu'ils soupçonnent de produit dénaturé. Et non pas,
comme le pensent beaucoup de gens, à cause de son prix qui est le double de
celui du lait ordinaire (50 dinars). «Il y a aussi les habitudes alimentaires»,
affirment d'autres. D'autre part, fonctionnaires et travailleurs, pères de famille
sans ou avec peu d'enfants en bas âge ou qui vont à l'école de bon matin, se
trouvent chaque jour devant le dilemme d'aller au travail ou attendre le camion
du livreur pour se procureur quelques sachets de ce lait absent du frigidaire
depuis plusieurs jours déjà. « Je ne peux me permettre d'acheter chaque jour le
litre de lait, en poudre ou en liquide dans un pack qui coûte plus de 90 dinars
», s'est lamenté un ouvrier habitant au centre-ville et travaillant dans une
unité industrielle de la périphérie. De retour l'après-midi chez notre
dépositaire, nous l'avons entendu dire qu'il venait de jurer que plus un sachet
de lait ne franchirait le seuil de son magasin. «Comme ça au moins, a-t-il dit,
je gagnerai en tranquillité et en dignité. Désormais, je vais me débrouiller
pour me procureur le sachet de lait comme le font tous les gens du quartier !».
Et de la sorte, la crise a encore de beaux jours devant elle !