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LES MOTS INTERDITS

par M. Saadoune

John Kerry, chef de la diplomatie américaine, s'est platement excusé, il n'a pas accusé Israël d'être «un Etat d'apartheid ou qu'il avait l'intention de le devenir». Et c'est vrai, il ne viendrait jamais à l'idée d'un dirigeant américain de critiquer Israël ou de décrire les choses telles qu'elles sont.

Dans les propos de Kerry qui ont suscité des réactions hostiles des lobbies israéliens aux Etats-Unis, ce qui prime c'est l'intérêt d'Israël de se débarrasser du « problème démographique» palestinien ; son souci est sa capacité à devenir un Etat «juif» et donc de ne pas «s'encombrer» des Palestiniens. L'AIPAC a immédiatement réagi en qualifiant d'offensant et d'inapproprié toute suggestion qu'Israël était ou risque de devenir un Etat d'apartheid, le tout assorti du vieux couplet qu'Israël est la «seule démocratie» au Moyen-Orient. Un rappel à «ligne» ou au tabou qui a été immédiatement entendu par M. Kerry. Mais Israël est bien un Etat d'apartheid, un régime raciste qui pratique l'épuration ethno-religieuse. L'embarras de John Kerry d'avoir vaguement évoqué pour le «futur» ce qui existe déjà renseigne, une fois de plus, du poids du lobby israélien à Washington.

Les responsables américains peuvent critiquer, sans problème, leurs alliés ou vassaux du monde entier, mais ils ont l'assurance d'être remis à leur place s'ils parlent d'Israël. Du coup, Kerry fait acte de contrition, ce qu'il avait dit lors d'une réunion à huis clos de la vieille Trilatérale, il le regrette. «Si je pouvais rembobiner la bande, j'aurais choisi un autre mot » que celui d'apartheid. «Je ne permettrai pas que mon engagement pour Israël soit discuté par quiconque», a ajouté le chef de la diplomatie de la plus grande puissance mondiale. La messe est redite. Mais l'Internet servant d'archives immédiatement accessibles, tout le monde a pu vérifier que des responsables israéliens ont déjà évoqué «sans complexe» la possibilité d'un Etat d'apartheid en cas d'échec du projet de deux Etats. En définitive, ce qu'Ehud Olmert ou Tzipi Livni peuvent dire sans susciter des réactions outragées, John Kerry ne le peut pas. Lui-même admet cette exception. Un homme politique américain, à défaut de montrer une «loyauté» à Israël égale ou supérieure à celle des Etats-Unis, doit s'abstenir d'émettre le moindre soupçon de critique.

En 2006, deux politologues américains, John Mearsheimer et Stephen Walt, ont été littéralement incendiés pour avoir publié, sur le site de l'université d'Harvard, une étude sur «le lobby israélien et la politique étrangère des Etats-Unis». Ils apportaient une démonstration probante sur le fait que le lobby israélien exerçait une influence exorbitante à Washington au point de contraindre les Etats-Unis à mener une politique étrangère contraire à leurs intérêts. Le «mea-culpa» de John Kerry le confirme amplement. L'archevêque Desmond Tutu a déjà constaté qu'aux Etats-Unis les gens avaient peur de dire que «le mal est mal parce que le lobby juif est puissant, très puissant ». Ce grand combattant anti-apartheid ne joue pas avec les mots, ce que vivent les Palestiniens il le connaît parfaitement. Il n'a pas fermé les yeux en se rendant en Palestine. « J'ai été témoin des routes et des maisons réservées aux Juifs et de l'humiliation infligée de manière systématique par l'armée israélienne aux femmes, aux hommes et aux enfants palestiniens. Leur humiliation nous est familière à nous, Noirs sud-africains, qui avons été réprimés, harcelés et insultés par les forces de sécurité du gouvernement d'apartheid.» Tutu parlait de ce qui existe et non d'une hypothèse future. Desmond Tutu est plus libre que M. Kerry.