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(1ère partie) L'histoire de l'Algérie post indépendance est jalonnée de soubresauts politiques liés pour l'essentiel au problème de la légitimité de ses dirigeants, lesquels ont chacun, à sa manière, essayé d'exploiter à son profit les forces du moment, quand celles-ci jouaient à sa faveur, pour s'imposer. A aucun moment les dirigeants qui ont été à la tête de ce pays ne l'ont été par le fait d'un choix populaire librement exercé ou portés par la transparence des urnes. Cette histoire nous montre également que la constitution n'a jamais représenté un obstacle pour ceux qui voulaient s'accaparer du pouvoir et qu'en définitive la seule légitimité qui était à l'ordre du jour n'était pas la légitimité constitutionnelle, mais celle du plus fort. Pour Bekhechi (1) en effet, si le constitutionnalisme est considéré comme le moyen de limiter le pouvoir des gouvernants, et si la constitution est considérée comme le symbole et l'instrument du constitutionnalisme, on peut affirmer que les premiers dirigeants politiques de l'Algérie indépendante avaient renoncé à l'idée même de constitutionnalisme et même si par la suite ils ont été forcés de revenir à la légitimité constitutionnelle, c'est parce qu'ils se sont très vite aperçus des limites d'un pouvoir sans la légitimité de celle-ci et des bénéfices potentiels qu'elle pouvait apporter à leur survie politique immédiate. C'est ainsi que d'un moyen de limitation et de contrôle du pouvoir, les dirigeants algériens vont faire de la constitution un instrument du pouvoir. La simple lecture des faits nous montre que dans un pays en voie de développement, l'exercice du pouvoir emprunte toujours d'autres voies que celles du droit. C'est ainsi que la première constitution de l'Algérie post indépendance, la Constitution d'Octobre 1963, qui a été élaborée, nous dit Bekhechi, en dehors de l'Assemblée Constituante est approuvée par un référendum dirigé et maîtrisé par un parti unique allait avoir très vite une vie éphémère. Le Président de la République allait en effet, l'utiliser, non pas comme la loi fondamentale fixant les règles de fonctionnement du pouvoir et les relations entre ce dernier et les citoyens, mais bien comme un moyen politique pour neutraliser des adversaires réels et/ou potentiels. Dès lors, elle perdait l'essentiel de son potentiel juridico-politique et n'était plus un instrument de régulation du fonctionnement et de l'exercice du pouvoir. Pour Bekhechi, cette incapacité de la constitution à fournir des solutions appropriées au règlement des différends relatifs à l'exercice du pouvoir va avoir comme conséquence le coup d'Etat du 19 juin 1965 qui allait mettre un terme final à l'illusion d'un régime politique soumis au droit et à un exercice légitime du pouvoir. On peut même affirmer, selon Bekhechi, que le coup d'Etat du 19 Juin 1965 était la conséquence logique de l'échec de l'idée même de constitutionnalisme en Algérie dû aux luttes politiques souvent violentes pour l'accaparement du pouvoir. Dans le même ordre d'idée, pour le Pr Madjid Benchikh (2a), la destitution de Ben Bella par l'armée, par le coup d'Etat de juin 1965, va achever d'écarter complètement la Constitution dont les règles font pourtant une place de choix aux pouvoirs de l'Exécutif. Cependant et pour continuer à avoir un semblant de légitimité puisque le constitutionalisme venait d'être balayé, le pouvoir allait orienter sa recherche vers d'autres formes politiques de légitimation. Ce besoin de légitimation, l'Etat allait essayer de le réaliser grâce à un instrument politique spécifique à l'histoire politique algérienne : la charte. Selon Bekhechi (2a), cette démarche trouvait un fondement historique dans la pratique du FLN avant même l'accession de l'Algérie à l'indépendance. En effet, la Charte de Tripoli, adoptée en 1961, était la référence de base de l'action de l'Etat. Pour ceux qui l'ont élaborée, elle a servi de fondement politico-idéologique pour éliminer le Gouvernement provisoire de la Republique algérienne et légitimer la prise du pouvoir par Ben Bella et les forces qui le soutenaient. La Charte d'Alger de 1964, quant à elle, remplacera la Charte de Tripoli et consacrera les choix du socialisme, de l'autogestion, et les options essentielles de la politique extérieure de l'Etat algérien. Sans être appelée Charte, la Déclaration du 19 Juin 1965 qui explique les raisons du coup d'Etat contre Ben Bella est rédigée comme une charte dont l'objectif était d'exposer les motivations des auteurs du coup d'Etat et de fournir les explications nécessaires pour justifier le besoin d'un "Etat fort" pour réaliser les objectifs et les "options fondamentales [qui] sont irréversibles et les acquis de la révolution [qui] sont inaliénables. C'est ainsi que pour combler le vide constitutionnel, de 1965 à 1976, ce sera L'Ordonnance de Juillet 1965 qui régira la vie politique et les institutions du pouvoir. Cette ordonnance va instituer un conseil de la révolution dont le président était chef de l'Etat, chef du gouvernement, de l'armée et en même temps véritable chef du parti unique. Selon Bekhechi (2a), c'était en fait le début de l'institutionnalisation du système de l'unité du pouvoir d'Etat que la Constitution de 1976 consacrera. Il aura donc fallu attendre plus de 10 ans pour que soit adoptée une nouvelle constitution, celle de 1976 qualifiée par Benchich (2a) de loi fondamentale de " gouvernement par le parti unique ". Dans le même ordre d'idée, pour Bekhechi (op.cit.), la constitution de 1976, sur le modèle des anciens pays socialistes d'Europe de l'Est, va consacrer le régime d'unité du pouvoir et donner une base juridique au système socialiste dont les principales composantes avaient été mises en place entre 1965 et 1976. La suprématie du gouvernement par le parti unique perdurera jusqu'à 1989 ". Cette période da la politique algérienne (de 62 à 89) sera essentiellement marquée, selon Benchikh (2a), " par l'interdiction non seulement des partis politiques qui furent contraint à la clandestinité, mais également de toute organisation syndicale qui refuse de se mettre sous l'égide du parti unique. Octobre 88 : Une ouverture politique avortée Le tournant décisif de l'histoire constitutionnelle de l'Algérie post indépendance fut pris lors des événements d'octobre 1988 qui ont fait en sorte que la chape de plomb de la pensée unique finit par se lézarder pour céder la place à une nouvelle conception de la chose politique plus ouverte, en apparence seulement, parce que dans la réalité des faits, cette ouverture, comme nous le verrons, n'a jamais véritablement eu lieu et qu'elle n'a été qu'un faire valoir pour permettre au système, qui a été mis a mal par des dissensions internes, de se remettre et se restructurer sur de nouvelles bases à coloration démocratiques, mais qui n'ont de démocratiques que l'apparence. En fait, ce système n'a jamais réellement pu se réformer et il est même établi, selon Benchikh (2a) citant Nezzar, que cet événement (octobre 88) est la conséquence de manipulations au sein même du pouvoir. Ainsi, si ce système a fini par céder, ce n'est pas du à des revendications externes, mais bien à des contradictions émanant de l'intérieur, c'est dire aussi que ce système politique véhicule ses propres contradictions qui ont fini par venir à bout de son unité apparente, mais ceci est une autre histoire. C'est donc suite à ces événements historiques, téléguidés ou non, que ce système a fini par se rendre à l'évidence de la nécessité d'une ouverture politique qui serait à même d'absorber ses propres contradictions. Mais nous allons voir qu'en définitive il n'est pas du tout évident pour un régime monolithique de se réformer comme ça, d'un coup de baguette magique, renonçant au pouvoir et à tous les privilèges qui s'y rattache. Ceci dit et quoi qu'il en soit, suite à ces événements qui ont pris l'allure d'une véritable révolution, dépassant et bousculant les pronostics stratégiques de ceux qui les ont initié, le système politique qui a gouverné l'Algérie depuis l'indépendance jusqu'à l'avènement de cette date fatidique a enfin daigné s'ouvrir aux bienfaits de la démocratie et du multipartisme par l'adoption d'une constitution qui introduit le pluralisme politique consacrant le principe de séparation des pouvoirs. C'est ainsi que la Constitution de 1989 et celle de 1996 qui l'a modifiée ont transformé les règles constitutionnelles ainsi que le système politique algérien. Selon Rahabi (3), " la Constitution de novembre 1996, a été discutée dans un contexte marqué par une grave crise politique interne et se voulait comme la synthèse de l'expérience institutionnelle des 40 dernières années. A ce titre, elle a consacré le principe de l'équilibre des pouvoirs en instituant la deuxième chambre en tenant compte de l'expérience de la crise institutionnelle issue de la dissolution de l'APN en 1992 et a adopté la règle de la limitation des mandats pour favoriser l'alternance démocratique au pouvoir et atténuer les effets du pouvoir personnel que l'Algérie porte comme une tare depuis le mouvement national. Rehabi ajoute, pour l'histoire, que l'avant projet de Constitution présenté à l'été 1996 par le Président Liamine Zéroual proposait un seul mandat de 7 ans non-renouvelable, tout comme le Mexique d'ailleurs (6 ans). Selon cet auteur, il aura fallu beaucoup d'insistance de la commission politique instituée à cet effet pour l'amener à admettre le principe d'un mandat renouvelable une seule fois, ce qui est par ailleurs le principe dominant dans le monde ". Cependant, cette ouverture politique qui consacre la démocratie et le multipartisme, ouverture que la constitution de 89 amendée en 96 venait d'initier, semble avoir été biaisée dès le départ. En effet, comme nous venons de le souligner un peu plus haut, il n'est pas du tout évident pour un système politique hermétique, qui a toujours gouverné sans partage de se réformer du jour au lendemain, si bien que, selon Benchikh (2a), " la constitution de 1989, amendée en 1996 établit un régime qui n'a que l'apparence d'une démocratie puisque l'armée reste au centre du pouvoir ". Selon cet auteur, " cette ouverture politique inspirée par la présidence de la république ne débouche que sur une démocratie de façade et n'apparaît pas comme une transition authentique vers un processus démocratique. D'une part, parce que le commandement militaire continue d'exercer une forte emprise sur le système politique, d'autre part, la faiblesse des partis d'opposition démocratique est telle qu'ils ne sont pas en mesure de déclencher un mouvement d'envergure susceptible de contraindre les détenteurs d'aucun pouvoir pour modifier le système ". Selon Benchikh (2b), " c'est sur cette base que s'explique la permanence de l'emprise du commandement militaire sur le système politique et c'est l'armée qui reste la détentrice du pouvoir réel et qui désigne les chefs d'état. C'est ainsi, selon Benchikh, que tous les chefs d'états qui ont été élus, même après 1989 ont été des candidats choisis par le commandement militaire." Ainsi, si la constitution de 1996 a été initiée avec le noble objectif d'atténuer les effets pervers du pouvoir personnel que l'Algérie porte comme une tare depuis le mouvement national, il semble bien que cet objectif louable n'a jamais été atteint. Les raisons de cet échec sont en fait inhérentes à la nature même du pouvoir algérien, pouvoir dans lequel le président de la république est au centre de toutes les décisions. En effet, que ce soit dans la constitution de 1976 dans laquelle la fonction présidentielle était déjà surdimensionnée ou encore la constitution de 89 remaniée en 96 et dans laquelle les articles 74 à 78 notamment indiquaient " que le président de la République dispose des plus larges prérogatives. Qu'il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Qu'il peut légiférer, dans certains cas, par ordonnance. Qu'il peut dissoudre l'Assemblée nationale sans que celle-ci puisse mettre en jeu sa responsabilité ". Dans tous les cas de figure, nous sommes bel et bien, comme l'écrit Bekhechi (op.cit.), dans une situation où : " la quasi-totalité du pouvoir exécutif est entre les mains du chef de l'Etat, cantonnant le gouvernement dans une mission quasi-technique de stricte exécution des volontés présidentielles ". S'il est vrai que la constitution de 89 révisée en 96 dans le but de " l'approfondissement démocratique et du réajustement institutionnel " prône effectivement la séparation des pouvoirs, pour Benissad (4), cela reste insuffisant. En effet, selon cet auteur, il ne suffit pas simplement d'établir les limites des pouvoirs dévolus aux diverses institutions de l'Etat, il est également nécessaire de veiller à ce que ces limites ne soient pas franchies. La transgression des limites dans l'exercice des pouvoirs exécutif et législatif doit être freinée et surveillée par le pouvoir judiciaire ; il est donc absolument essentiel que le pouvoir judiciaire soit totalement libre de toute pression ou influence et qu'il défende vigoureusement son indépendance. Or, il se trouve selon Benissad, " que l'ordre constitutionnel en Algérie est caractérisé par une confusion des pouvoirs, notamment entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire ; une confusion entre le régime présidentiel et le régime parlementaire ; et une représentation factice au niveau du Parlement et du Sénat. Pour cet auteur, ceci représente un risque sérieux parce que des lobbies politico-financiers se substituent à l'Etat, l'espace d'une campagne et minent son autorité. Par ailleurs, les amendements constitutionnels introduits lors de cette énième révision constitutionnelle, outre quelques aménagements que nous qualifierons d'anodins, comme l'article 5 ou encore l'article 62, outre ces points d'une importance mineure par rapport à notre propos, les autres amendements apportés à la constitution ne sont guères rassurantes quant à l'avenir du processus démocratique algérien et notamment l'amendement proposé à l'article 74 qui, tout en maintenant la durée du mandat présidentiel, qui est de cinq ans, dispose que le président de la République est rééligible sans limitation de son mandat. Nous avons écrit à propos de ces " tripatouillages " de la constitution un article parut dans le Quotidien d'Oran en 2008 que des exemples méritent d'être médités encore aujourd'hui comme avec le refus du peuple vénézuélien de suivre le Président Chavez dans son désir de révision constitutionnelle pour accéder éventuellement à une troisième magistrature. Nous avons écrit alors que " ce refus ne voulait nullement signifier que les vénézuéliens n'aiment pas Chavez. Je crois même que c'est le président le plus charismatique et le plus populaire que ce pays ait jamais connu. En refusant de suivre Chavez dans cette aventure, les vénézuéliens, ont tout simplement démontré qu'ils sont plus attachés à la démocratie qu'au charisme de leur président. Même Poutine n'a pas essayé de s'attaquer à une révision constitutionnelle malgré son désir de rester président parce qu'une révision constitutionnelle est toujours lourde de conséquences. En effet, quel crédit politique aurait une nation, si celle-ci change de constitution comme on change de chemise. Si cela est, qui empêcherait demain n'importe quel président de changer et d'adapter la constitution à ses convenances. Une constitution doit être inviolable. Du moins certaines de ses dispositions, notamment celles qui consacrent la démocratie et l'alternance au pouvoir. Parce que sans alternance au pouvoir, il n'y a point de démocratie. " La révision constitutionnelle de trop : la boite de Pandore Cette énième révision constitutionnelle est la boite de Pandore qu'il ne fallait pas ouvrir. D'ailleurs, les retombées négatives de cette hâtive révision constitutionnelle ne se sont pas fait attendre déjà à l'époque notamment par le rendez-vous raté avec le prix Nobel de la paix pour lequel, semble-t-il, l'Algérie était en pole position par rapport à l'ensemble des prétendants à cette distinction. En effet, selon Mohamed-Rédha Mezoui (5), " nombreux sont ceux qui avaient anticipé sur les chances réelles de l'Algérie d'être lauréate du Prix Nobel de la Paix dès l'année 2003, se basant sur la reconnaissance des prouesses de l'Algérie tant au sortir de la grave crise interne (politique du Pardon), dans son agir diplomatique en faveur de la consolidation de la paix (l'Union africaine, le Nepad, la médiation Ethiopie-Erythrée), que dans sa volonté affichée de mettre en place en Etat de droit dans le pays (élection présidentielle 2004), ainsi que sur la prise en compte du rééquilibrage des attributions du Prix Nobel de la Paix vers les pays du Sud, opération qui devrait crédibiliser un peu plus la vocation universelle de cette distinction. (A suivre) *Université Constantine2 |
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