Connu dans les
anales de la justice sous le nom d'«affaire du transfert illégal de capitaux de
l'Algérie vers l'Espagne», le fameux dossier plus répandu sous le surnom à
consonance trabendiste d'«affaire des devises (900 millions d'euros) expatriées
en cabas» revient sur le devant de la scène. Jeudi 24 avril, le dossier sera
examiné par la Cour suprême qui aura à statuer notamment sur les pourvois en
cassation contre la sentence prononcée par la cour d'Alger en avril 2012,
a-t-on appris de sources proches de l'affaire. Y aura-t-il donc un procès bis
alors que la plupart des condamnés ont déjà écopé leur peine et que le plus
célèbre parmi eux -sur le plan business pour être précis-demeure en cavale ?
Tout laisse à penser qu'il y aura effectivement une troisième manche de cette
affaire qui ne semble pas avoir révélé tous ses secrets en dépit de deux
longues audiences en première instance, janvier 2012, et en deuxième, en mois
de mai de la même année. Seul changement à prévoir au procès post-cassation,
quelques rares accusés parmi les 53, qui seraient cités à la barre en tant que
simples témoins. Grosso modo, à quelques rares exceptions près, la cour avait
confirmé le jugement rendu au 1er degré, à savoir des peines entre 10, 7 et 3
ans de prison ferme, assorties de lourdes amendes, contre les 53 mis en causes.
Quinze d'entre eux, parmi lesquels le patron de Mobilart, ont été
condamnés, par défaut, à la peine maximale prévue par la loi, 10 ans
d'emprisonnement. Un mandat d'arrêt international a été décerné
contre l'ex-PDG de Mobilart et tous les autres mis en cause, absents lors du
procès. Treize accusés, qui étaient en détention provisoire, ont écopé de 7 ans
de prison ferme, alors que vingt-cinq autres, en liberté provisoire, ont été
condamnés à 3 ans d'emprisonnement. Les 53 personnes condamnées doivent, en
outre, verser solidairement un montant faramineux à la douane algérienne. La
partie civile a, en effet, vu sa demande d'être dédommagée à hauteur de cinq
fois le montant global des devises transférées, soit l'équivalent de quelque 3
milliards d'euros, accordée par la justice au titre de l'action civile. Sur le
plan procédural, il importe de rappeler que le 14 septembre 2011, la chambre
d'accusation près la cour d'Alger avait tranché pour la correctionnalisation
(ou la décriminalisation) de l'affaire. En vertu de l'arrêt rendu par cette
juridiction, les chefs d'accusation retenus au départ, à savoir les articles 2 et
15 de l'ordonnance 05-06 du 23 août 2005 relative à la lutte contre la
contrebande, ont sauté et été remplacés par les articles 2 et 10 de la même
loi. La chambre d'accusation n'a pas suivi le juge d'instruction près la 9e
chambre du pôle pénal spécialisé en estimant en substance que le cas de figure
était disproportionné avec l'article 15: «Lorsque les faits de contrebande
constituent, de par leur gravité, une menace sur la sécurité nationale,
l'économie nationale ou la santé publique, la peine encourue est la réclusion à
perpétuité.» Ainsi, outre le délit de contrebande (de devises), les 53 accusés
ont été inculpés d'un autre délit : l'article 1 de l'ordonnance 10-03 du 26
août 2010 relative à la répression de l'infraction à la législation et à la
réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger
(fausse déclaration, inobservation des obligations de déclaration, défaut de
rapatriement des capitaux, inobservation des procédures prescrites,
inobservation des formalités exigées, défaut des autorisations requises,
non-satisfaction aux conditions dont ces autorisations sont assorties). A
l'origine du déclenchement de toute cette affaire: une liste «noire» où
figuraient 43 noms d'Algériens suspectés d'appartenir à un réseau transfrontalier
de soutien financier au terrorisme et au crime organisé, transmise par les
autorités espagnoles à l'Algérie, en milieu de l'année 2009, dans le cadre de
la coopération judicaire entre les deux pays. Etablie donc dans le cadre de la
traque des fonds susceptibles de financer le terrorisme et le grand banditisme,
des recherches pour définir la traçabilité des fonds transférés par des
étrangers vers des banques ibériques ont accouché de cette liste nominative.
Les critères de sélection adoptés alors par les autorités espagnoles étaient
basés sur la fréquence des entrées-sorties et des déclarations de devises
faites par les voyageurs algériens auprès des douanes espagnoles, ainsi que la
masse de ces capitaux ramenés d'Algérie, en bagages à main, par avion ou par
bateau. De quoi apporter de l'eau au moulin à un processus d'investigation mis
en branle, peu de temps auparavant, sous le grand sceau de l'assainissement du
commerce extérieur et dont les premières cibles consistaient en une quarantaine
d'opérateurs dans l'import-export.
Le 13 janvier
2010, la PJ de la sûreté de wilaya d'Alger clôt son enquête préliminaire visant
44 «passeurs» présumés de devises fortes vers l'autre bout de la Méditerranée,
ordonnée 9 mois auparavant par le parquet général d'Alger, et en transmet sitôt
le rapport à ce dernier. Entre-temps, le dossier prenait de l'épaisseur au fil
des jours, avec l'incorporation en avril 2009 d'une plainte émanant des
services de la douane de l'aéroport d'Alger, puis, en août, d'un autre dossier
en provenance du tribunal d'Oran concernant 27 opérateurs basés dans l'Oranie.