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LA COULEUR DU CONSENSUS

par K. Selim

Le général Liamine Zeroual a publié une lettre que beaucoup, non sans raison d'ailleurs, s'empresseront de lire comme une critique en règle des trois précédents mandats de Bouteflika et une objection au quatrième mandat. Sa dénonciation - que d'aucuns jugeront quelque peu tardive - de la remise en cause de la limitation des mandats ne manque pas de pertinence. Cette limitation ne fait pas en soi l'alternance et la démocratie à plus forte raison dans un pays où la Constitution n'est qu'une modalité de référence. Mais dans le cadre même du régime, elle pouvait, en théorie, favoriser une transmission générationnelle manifestement bloquée. Et ce n'est pas les développements en cours - qui n'en finissent pas de heurter de nombreux Algériens - qui risquent de convaincre du contraire.

La limitation des mandats peut être instituée sans pour autant changer l'ordre autoritaire en place dans le pays. C'est pour cela que le plus important dans le message de Liamine Zeroual est son ralliement à l'idée d'un «consensus national» pour sortir le pays du guêpier actuel, de la crise biologique du régime. Car, il ne faut pas s'y tromper, le quatrième mandat demandé pour Bouteflika, qui plonge de nombreux Algériens dans une incrédule perplexité, est avant tout l'illustration de l'impasse du régime. Le ralliement de Liamine Zeroual à la thématique du consensus pour sortir de la panne du régime est très significatif. Il révèle une préoccupation commune sur le danger de rater le tournant des prochaines années et le coût exorbitant de manquer l'occasion de changer l'ordre actuel.

Il ne faut pas oublier que l'idée d'un consensus national autour d'une plateforme démocratique avait été initiée par les partis d'opposition alors que Liamine Zeroual était à la présidence. La proposition de «contrat national» de l'opposition avait été accueillie par une riposte hystérique du régime allant jusqu'à s'aventurer à accuser de «traîtrise» des hommes d'une très grande rectitude morale et dont les noms figurent en haut lieu dans l'histoire. L'argument, matraqué par les médias du pouvoir sous orchestration de «manifestations spontanées», était que l'opposition recherchait le «partage du pouvoir». Mais il était clair que le consensus national autour d'un projet démocratique inclusif a été rejeté sous la fameuse, mais néanmoins apolitique et vulgaire, formule de «globalement et dans le détail».

Il ne s'agit pas de revenir en arrière, l'histoire jugera si une vraie opportunité n'a pas été ratée pour le pays. Mais ce rappel permet surtout de souligner que si l'idée du consensus commence à s'imposer dans le débat et bouscule les défenseurs d'une «stabilité» creuse, elle devra nécessairement entrer dans les détails. Et afficher la couleur du consensus. Car, l'enjeu est bien là, converger vers un consentement commun et négocié pour une transition démocratique, sans perfidie, ni ruse. Selon le mode tunisien par exemple qu'il convient d'évaluer avec attention au lieu de lui brandir un insecticide (le fly-tox !) sur le registre de la plaisanterie improbable dont l'opinion est abreuvée ces derniers jours.

Dans un pays où les mots sont dévoyés, un consensus autoritaire construit sur une entente tacite entre acteurs innomés, fondé sur le rapport de forces et la contrainte a existé. Et, bien qu'objectivement dégradé, il semble perdurer. En sortir pour un consensus politique ouvert, démocratique et inclusif, constitue le défi d'une véritable révolution pacifique. Ce défi, tous ont intérêt à le relever car il débouche sur le seul consensus acceptable, celui de la démocratie et du droit, l'unique consensus aux couleurs nationales qui redonne un horizon au pays et à ses enfants.