Le marché du
change parallèle s'embrase. L'euro a désormais atteint un seuil trop élevé,
jamais égalé dans le passé. Il a été échangé jeudi à partir de 153 dinars
(15,30) chez les cambistes.
« L'euro a dépassé
au début de l'année la barre symbolique des 150 dinars. Il y a quelques jours
il a même atteint 155 dinars (15,50)», affirme ce connaisseur du marché du
change parallèle. «L'achat est à 151 dinars (15,10) et la vente à 153 (15,30)»,
lance ce cambiste au centre-ville d'Oran. Les cambistes que nous avons
interrogés estiment que cette flambée du change parallèle est due à de nombreux
facteurs, essentiellement la baisse de l'offre et la progression de la demande
des acheteurs qui prisent l'euro. La monnaie locale est sous pression depuis la
fin 2013 sur le marché du change parallèle. Il s'agit, selon un connaisseur du
marché, d'un mauvais signe pour l'économie nationale. Les acheteurs semblent
perdre de plus en plus confiance dans la monnaie locale au profit des autres
monnaies étrangères. Pourquoi cette perte de confiance des acheteurs ? Les
incertitudes au plan politique, économique et social que connait le pays ont
finalement poussé de nombreux acheteurs (opérateurs économiques, grosses
fortunes, ressortissants étrangers?) a jeter leur dévolu sur la monnaie
européenne. Le marché du change parallèle a en fait commencé à s'affoler avec
la conjoncture actuelle. Le cours de l'euro sur le marché informel n'est pas
resté insensible face à la conjoncture politique extrêmement délicate conjuguée
au flottement des choix économiques du gouvernement et le recul des recettes
des exportations des hydrocarbures qui ont chuté, selon la banque d'Algérie, de
10,2% en 2013 pour s'établir à 63,3 mds de dollars contre 70,5 mds de dollars
en 2012 sont parmi les principales causes de la dépréciation du dinar. Le recul
sévère des recettes des exportations des hydrocarbures a été causé par deux
facteurs : les importations ont atteint en 2013 un niveau non soutenable eu
égard au profil des exportations tant en volume qu'en valeur, alors que les
quantités d'hydrocarbures exportées ont baissé de 7,3% durant la même période.
Le pays gagne ainsi de moins en moins d'argent et continue de dépenser de plus
en plus. L'autre raison de la flambée du cours de l'euro sur le marché de
change parallèle est la chute drastique des transferts en devise des émigrés.
Les ressortissants algériens résidant en Europe et particulièrement en France
avaient l'habitude d'alimenter régulièrement le marché parallèle des devises en
Algérie où ils peuvent gagner des sommes exorbitantes. Nos émigrés recourent
rarement aux banques pour transférer leur argent. Ils préfèrent le marché
parallèle pour convertir à un meilleur taux leurs économies. Malheureusement,
ces dernières années, les émigrés algériens semblent souffrir des affres de la
récession économique qui a frappé l'Europe. Difficile de faire de l'épargne
dans une période de crise et de progression des taux de chômage en particulier
parmi la communauté maghrébine. Le manque à gagner est considérable pour le
marché parallèle. En parallèle au tarissement des ressources du marché de
change parallèle, les transferts illicites de fonds vers l'étranger par des
hommes d'affaires algériens et des sociétés étrangères ont progressé ces
dernières années. La crise économique et financière internationale qui a frappé
les pays du sud du continent européen a eu pour conséquence une chute des prix
des biens immobiliers, comme en Espagne, ce qui a poussé de nombreux
concitoyens à investir dans l'immobilier dans les villes côtières de la
péninsule ibérique. Les transferts illicites sont investis dans l'immobilier
dont les prix se sont effondrés. Une aubaine pour les hommes d'affaires
algériens et même pour des particuliers qui investissent dans l'achat
d'appartements et de villas à des prix inimaginables. «Avec 600 millions de
centimes, voire moins, vous pourriez acheter un joli appartement équipé dans
une ville balnéaire en Espagne», confie cet Algérien de retour d'Espagne. Les
hommes d'affaires et même des hauts cadres de l'Etat préfèrent désormais
acheter un appartement à Barcelone ou Alicante pour économiser les prix
d'hébergement dans les hôtels qui restent encore hors de portée. Les prix d'une
nuitée à Barcelone, à titre d'exemple, varient entre 500 euros pour un hôtel de
luxe à 50 euros pour un hôtel bas de gamme. Les services des douanes ont ainsi
renforcé ces derniers mois les contrôles dans les aéroports et les ports pour
intercepter les transferts illicites, mais les hommes d'affaires recourent à
des procédés ingénieux pour tromper la vigilance des services de contrôle.
Parmi les techniques courantes utilisées, il y a la surfacturation des
importations. Le rapport de l'Institut nord-américain Global Finance Integrity
(GFI) place l'Algérie au troisième rang africain des pays affectés par ces
pratiques délictueuses, derrière l'Egypte et le Nigéria. Selon le GFI, les
surfacturations en matière d'importations sont estimées pour l'Algérie à
environ quatre milliards quatre cent millions de dollars (4,4 mds) au cours de
la période 2000-2009. La surfacturation ne consiste pas seulement à gonfler
artificiellement les prix des produits -ou des infrastructures «clés en main»-
que l'on importe. La technique la plus usitée, traditionnellement, consiste à
respecter un prix formel en jouant sur la qualité de la marchandise importée.