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Quand
vous entendrez, la prochaine fois, ou que vous chanterez Kassaman, faites
attention aux cinquième et sixième vers de la première strophe. Il dit ceci : «
Nous nous sommes dressés pour la vie ou la mort, car nous avons décidé que
l'Algérie vivra ». N'y lisez-vous pas une défiance ? On entendrait presque une
suite, une sorte de « quoique vous puissiez penser ou faire » ? Ce n'est pas
une de ces affiches électorales sur lesquelles vous liriez « Votez X ou Y » qui
laisse pendre une menace : « Sinon gare à vous ». Non. Les cinquième et sixième
vers disent une détermination. On y va. Tout simplement. Quoiqu'il en coûte.
C'est bon d'être entier, parfois. Le plus remarquable est que, sur cela au
moins, nous fûmes et sommes d'accord. Remarquable, non ? Des Algériens
unanimes.
J'y pensais un matin, ni trop tôt ni trop tard, quand j'entendais des enfants chanter l'hymne national, dans la cour de leur école, pendant la levée des couleurs, avant de regagner leurs classes. De la fenêtre, je les voyais observant un strict garde-à-vous. Et là, une idée me traversa l'esprit : « mesurent-ils le sens, la charge des mots qu'ils prononcent sur ce ton martial ? » « Est-il prévu, au-delà de la mémorisation du chant, l'identification de cases dans leur cerveau où incruster l'explication historique du texte ? Le Pourquoi et le Comment ? » « Ces enfants, savent-ils qu'ils sont les premiers destinataires du message ? Que les mots pour dire cette Algérie dont rêvaient des femmes et des hommes dans les maquis et dans la clandestinité des réseaux urbains, leur étaient destinés ? Leur héritage ? Au pays qu'ils voulaient construire pour eux, au prix de leur vie ? » Ce n'est pas de la ringardise que de rappeler cela. Cet hymne ou Min Jibalina soutenaient des idées fortes. Certains dinosaures de ma génération ont certainement en mémoire un match Reims-Real de Madrid à Oran, dans les années 50, au cours duquel l'hymne national français fut boycotté par les spectateurs des virages. Des Algériens. Jeunes pour la plupart sont restés assis. Pas question de se lever. Non par manque de respect pour un hymne national, mais par défiance, par dénonciation, par négation du sens des mots de cet hymne dont les mots, ils en étaient les témoins, étaient foulés aux pieds, chaque jour, sous leurs yeux, par les caïds, les harkis, les officiers de le SAS, les tortionnaires de l'armée d'occupation, par les enfumades, le napalm déversé sur les douars. Ces Algériens, bien éduqués pour la plupart, à l'école de la République, comme on dit, n'étaient pas à blâmer. Par cette attitude, ils désignaient ceux qui l'exécutaient et nous excluaient, nous déniaient l'amour d'une patrie dont ils ont organisé un hold-up. Ils déboulèrent, justement dans les gradins, pour nous contraindre à nous lever pour marquer le respect pour un chant qui nous excluait du « jour de gloire ». A coups de matraques. L'hymne national s'inscrit en droite ligne de Min Jibalina d'où nous parvenaient les voix des « hommes libres qui nous parlent d'indépendance pour notre patrie ». Au rang de chant patriotique, il annonçait « le sacrifice pour la Patrie (qui) vaut mieux que la vie ». A ce point. La seule fausse note, si l'on peut dire, est la mélodie de ce dernier chant patriotique. Les paroliers, en mal d'inspiration, - ou bien, était-ce intentionnel ? - avaient emprunté les vingt premières notes à la marche la Sambre et Meuse, composée en 1792 par Robert Planquette, sur des paroles de Paul Cézano quand les troupes françaises envahirent ce qui n'était pas encore la Belgique. Faudra y remédier peut-être. Non ? Hakim Kateb, dans un article publié le 18 novembre 2007, intitulé « les jeunes Algériens face à l'hymne national» posait cette question aux lecteurs : « Que connaissez-vous de Kassaman ». Il releva d'intéressantes réponses. Le respect n'est pas mis en doute. Il est dans les fibres de chacun. Et puis ? Ils savent qu'il faut jurer par le sang des martyrs, les éléments de la nature. Mais encore ? Pardon ? Comment dites-vous ? Oui. Il eut été intéressant de demander aux jeunes filles et aux jeunes gens, pas seulement ce qu'ils en savent mais ce qu'ils en pensent. Ce qu'ils retiennent de cet hymne. Comment ils le vivent. Je suis certain qu'il y aurait eu des futés, il y en existe toujours à cet âge, pour dire : « Vous avez juré, au nom du sang des martyrs, sur les éléments naturels que l'Algérie vivra. Bien. Plus de cinquante ans après, qu'avez-vous fait de ce serment. Nous en sommes où ? » - Heu? Oui, hé bien voilà, nous allons élire un Président pour la quatrième fois consécutive à la tête de l'Etat. - Démocratiquement, évidemment. - Vous m'avez entendu dire ça ? |
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