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LA RESPONSABILITE SERAIT-ELLE UNE TARE ?

par K. Selim

Mouloud Hamrouche déclare qu'il n'est pas un homme providentiel, on lui reproche de refuser le rôle le plus classique pourtant du populisme démagogique. Il proclame que les élections ne sont pas, dans les circonstances actuelles, un moyen de résoudre les crises, on lui reproche de ne pas être candidat. Il réitère qu'aucune solution sérieuse - donc démocratique - ne peut se faire contre l'armée, on lui reproche de ne pas en appeler au peuple à sortir dans la rue. Certains le font de bonne foi. D'autres sont oublieux du fait qu'ils en ont appelé à l'armée quand une partie de ce peuple a «mal voté» et que cet appel et ses répercussions constituent des éléments structurants de la crise actuelle. Et de la monstrueuse impasse dans laquelle est plongé le pays.

Certains lui reprochent son excès de réalisme - l'état de la société algérienne et les «graves menaces» qui pèsent permettent-ils d'envisager que l'on tente de débloquer la crise au sein du régime par la rue ? - alors qu'il aurait pu être lu comme une évaluation sans doute peu romantique mais néanmoins tout à fait responsable. L'analyse, néanmoins rigoureuse, aboutit à un diagnostic préoccupant qu'il est loin d'être le seul à établir. Le chef de file des réformateurs martèle sa conviction qu'il n'existe pas d'homme providentiel pour redresser une situation compromise mais qu'elle nécessite beaucoup de monde, de la volonté et des convictions communes, une feuille de route, pour espérer sortir du piège dans lequel le pays est enferré. Il s'agit bien de pédagogie politique au sens où l'entendait Abdelhamid Mehri. Mais rien n'y fait, certains, jamais en retard d'une surenchère, l'accusent de désertion. D'autres dans un accès étrange de virginité démocratique lui reprochent de s'adresser aux militaires. D'autres encore estiment qu'il s'agirait en l'occurrence de pure naïveté.

Pourtant, souligner avec solennité que les blocages sont des «risques sérieux» qu'ils recèlent de «graves menaces, exacerbent les facteurs de division, paralysent les institutions et soumettent les hommes à des pressions impossibles» n'a rien de vraiment naïf. Cela s'adresse aux militaires, bien sûr, mais aussi à tous, aux Algériennes et aux Algériens qui sont inquiets par le tour que prennent les événements. Pourquoi s'adresser aux militaires ? A qui donc s'adresser quand l'Etat est si manifestement déficient, les institutions si peu crédibles et la société si clairement démunie de moyens d'action ?

Ceux qui se souviennent de l'évolution des émeutes de janvier 2011 dans certaines villes, si proches d'Alger, vers une quasi-guerre civile entre pauvres et moins pauvres ne sont pas particulièrement enthousiastes à l'idée de mettre la «révolution dans la rue». Ceux qui espèrent ranimer l'esprit du 11 décembre pourraient bien se retrouver face à une déclinaison de Benghazi. Car le dilemme se résume bien à changer le régime sans menacer le pays. Ce n'est pas une pure question de style dans un concours d'élégances démocratiques. La perpétuation du régime est une grave menace pour le pays. Il s'agit là d'un fait objectif parfaitement observable. Il est donc urgent qu'il évolue au plus vite et qu'il se transforme structurellement. Le quatrième mandat annoncé de manière si spécifique suscite - quoi de plus normal - de l'abattement, de la colère voire de l'indignation. C'est, évidemment, un facteur de plus dans l'aggravation de la crise du régime.

Pour légitimes qu'ils soient, l'abattement et la colère ne suffisent pas à fonder une action politique. Quand l'impasse est si intensément ressentie par de larges pans de la population algérienne - qui n'est pas amnésique même si elle souffre de profonds stress post-traumatiques non traités -, le «il n'y a qu'à» a quelque chose d'insupportable. Etait-il possible d'attendre de Mouloud Hamrouche qu'il entre dans une élection qui n'en est pas une ? Etait-il possible d'attendre de cet homme d'en appeler à la rue ? A-t-on besoin de boutefeux dans une telle atmosphère ? N'en déplaise aux nihilistes et aux maximalistes, être responsable n'est pas une tare ! Dans le contexte actuel, l'appel à la sagesse et à la prise en compte primordiale de l'intérêt supérieur de la nation - une et indivisible - de la part d'un homme expérimenté, qui connaît intimement le système, doit être appréhendé à sa juste valeur. Même si cela peut produire l'impression trompeuse d'en appeler «naïvement» à une raison qui semble avoir totalement déserté les différents compartiments du régime. Mais ce que l'on peut regretter, en définitive, c'est la rareté de voix crédibles et authentiques susceptibles d'appuyer, de relayer et de participer à un urgent effort de pédagogie politique.