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Le bon sens est rouge

par Sana Harb

Le bon sens est-il la chose la mieux partagée au monde ? Le brave Des cartes aurait quelques doutes s’il était en Algérie. Des doutes sérieux même ! Surtout quand il voit sur des TV privées algériennes étrangères, Abdelmalek Sellal, Premier ministre de son état, cumulant ces derniers temps des fonctions apriori antinomiques, s’agacer un peu contre le gouverneur de la Banque d’Algérie. Lequel a eu le bon sens «prudentiel» de lire les chiffres des finances publiques en mode alerte rouge alors qu’il aurait fallu, selon le bon sens «spécifique» du moment, les saupoudrer de rose. Selon M.Sellal, le pessimisme de l’analyse du très prudent Mohamed Laksaci n’a pas été tempéré par l’optimisme de l’action. C’est joli, n’est-ce pas ? Même si c’est un tantinet martial ! Sauf que le gouverneur de la Banque d’Algérie n’a rien fait d’autre que ce que font, de manière technique, depuis des années les ultimes vigiles cachés de l’improbable gouvernance nationale : croiser la courbe des recettes hydrocarbures avec celle des importations. Deux seules courbes qui en disent long sur l’état de l’économie algérienne et sur la qualité de «l’action» gouvernementale censée tempérer le pessimisme de l’analyse. Les officiels du secteur de l’énergie, eux, sont dans la ligne rose : il n’y a pas de peak-oil, le déclin pétrolier de l’Algérie ne serait qu’un excès de pessimisme pour ne pas dire une manipulation ourdie et une entreprise de démoralisation de la nation ! Mais les anciens du secteur de l’énergie, dont une belle brochette d’ex-PDG de Sonatrach, libéré des contraintes de la ligne rose, disent exactement le contraire. Et, une fois de plus, ce ne sont pas des «opposants», mais des gens d’expertises qui lisent, derrière la baisse de la courbe des recettes, celle de la production. Et s’inquiètent, légitimement, pour l’avenir. «Mon nom est rouge» pourraient-ils dire dans une appropriation du titre du fabuleux roman du turc Orhan Pamuk. Dans un pays où les décennies s’énoncent en couleurs à nuances variables, on finira même par découvrir que Descartes est un «rouge»… pendant que les jeunes de Nabni n’en finissent pas de s’alarmer devant l’Iceberg qui approche tandis que babor dzayer chante la vie en rose.