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L'homme de l'année 2013 : le Général M?

par Kamel Daoud

2013. Qui est l'homme de l'année ? Ce n'est pas Khalifa, ce n'est pas Bouteflika, ce n'est pas Saïd, ce n'est pas Benflis, ce n'est pas Sellal, ce n'est pas Hollande. Le véritable homme de l'année 2013 en Algérie est le Général Mediene, de son nom de profession Tewfik. Toute l'actualité de l'année qui va mourir se résume dans son absence : est-il en fonction ? Malade ? Loin ? Assis dans un bureau ? Isolé ou en mode d'attente ? Toute l'année s'est passée à s'interroger, pour les moins bêtes et les plus idiots, sur l'avenir de cet homme et son immense machine qui peut soulever un peuple et faire s'asseoir un Président selon la notice dans la boîte Algérie. Du moins, selon le mythe. Car cet homme est à moitié une histoire, à moitié une fiction. Il est inspiré de faits vrais mais toute ressemblance avec une personne réelle est pure coïncidence. Toute l'année 2013 a été consommée en s'interrogeant sur la capacité du clan présidentiel à s'en défaire ou à sa capacité à surprendre les deux frères. Du moins en apparence. Car toute l'année 2013 s'est passée à s'interroger si ce match Présidence (s) DRS (s) est vrai, truqué, exagéré, réel ou seulement fictif, pour distraire. Une année entière on a cherché des pistes, des indices, pressé les citrons et les nuances et le verbe jusqu'à confectionner des dictionnaire. A la fin, on a compris que l'on ne sait rien de plus mais que l'on sait tout sur le rien.

L'homme résume à lui tout seul tout le trouble qu'ont les Algériens vis-à-vis du pouvoir : si le maquis n'existait pas, on l'aurait inventé. Si le Général Tewfik n'existait pas, on l'aurait créé. On ne peut pas croire en Algérie au réel, à l'apparence du pouvoir, à la coïncidence entre pourvoir et responsabilité. Sa dimension clandestine est nécessaire à l'adhésion du peuple depuis le FLN-ALN original. Le concept d'état-major occulte nous est essentielle pour maintenir debout le concept de l'Etat. Il nous faut un Général sans image derrière l'image. Il nous faut une voix off, une porte sublime. Le Général Mediene, certains à Alger dès leur nomination y courent pour exprimer leur vassalité lorsque lui ne demande rien : il y a de la servilité dans l'âme de certains hauts cadres, ministres et disgraciés, plus que de l'autorité dans cette institution. Pour Benflis, les adhésions des chauffeurs de foules étaient encore suspendues jusqu'à hier à la direction de la volute de fumée qui monte de la bouche de l'homme au cigare. Non parce qu'il le veut mais parce que les gens ne peuvent pas s'en passer. Par abus d'obéissance, par lâcheté, par servilité, nombreux ceux qui se sont sentis désemparés avec l'absence de cet homme ou avec la rumeur de son retrait technique.

C'est donc lui l'homme pivot de l'année : par son absence, par les rumeurs autour de sa personne, par l'impossibilité qu'ont certains à croire à une vie après son départ, par son poids mort ou vif dans l'imaginaire politique. Tout le reste, c'est de l'ENTV, c'est de la robe de chambre, c'est des histoires de café, c'est de fausses pistes. Un seul être vous manque et le politique en Algérie est dépeuplé. Et c'est le plus grand service que cet homme a rendu à ce pays, malgré lui : il révèle à énormément de gens leur futilité. Existe-il ? Est-il réel ? Est-il puissant ? Ce n'est pas le plus important : se sont les autres qui ne sont pas réels, qui ne sont pas puissants, qui n'existent pas. Il y a un agent du DRS derrière le dos de chaque Algérien, non pas parce que c'est vrai, mais parce que l'Algérien ne cesse de se retourner pour regarder derrière lui avec inquiétude, depuis qu'il est né.