Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Doutes sur la viabilité technique et financière de la séquestration de carbone à In Salah

par Rabah Saïd

Depuis 2004, la joint-venture BP, Sonatrach et Statoil qui exploite le gisement gazier d'In Salah mène une expérience d'avant-garde et très suivie en matière de séquestration de carbone. Plus de 3 millions de tonnes de CO2 ont été séquestrés en «toute sécurité», affirme la joint-venture.

Un constat qui date. Des doutes restent de mise sur la fiabilité du procédé et son coût.

Le carbone est séquestré dans le cadre de l'exploitation du champ gazier situé dans le bassin central de l'Ahnet-Timimoun renfermant 160 milliards de mètres cubes de gaz et devant être exploiter sur 20 ans. Le gaz contient jusqu'à à 10% de CO2et il doit être réduit à 0,3% avant la vente. Cela donne une production d'un millions de tonnés de CO2 par an et un objectif de séquestration de 17 millions de tonnes. Le procédé est nouveau et la surveillance de l'évolution du site est un élément majeur dans la stratégie globale de gestion des risques posés par le stockage géologique. Le GIEC (Groupe Intergouvernemental pour l'Evaluation du Climat relève dans un rapport qu'il n'existe pas de «procédures ou de protocoles normalisés» et qu'ils doivent être élaborés «au fur et à mesure du perfectionnement de la technologie, en fonction des dangers présents et des règlements locaux». Après l'attaque terroriste du 16 janvier 2013 contre la base gazière de Tiguentourine qui a entrainé l'évacuation des personnels des entreprises étrangères a tenu à souligner que «rien ne change vraiment» en termes de projet de surveillance du CO2 à In Salah. Et de fait, la surveillance des quelques 3,8 millions de tonnes de CO2 capturés et injectés dans le sited'In Salah (réservoir de Krechba) entre 2004 et 2011 ne devait pas souffrir d'interruption au risque d'une catastrophe. Mais les opérations de stockage ont été suspendues en 2011 en raison, selon l'Institut de Massachusetts dédié aux études sur les technologies CCS, du recueil de données préoccupantes sur l'intégrité d'un joint du dispositif de stockage.Ces soucis de sécurité sont confirmés par un rapport daté 30 mai 2013 de l'institut français Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) qui pointe des fuites et des fuites et des soulèvements de terrain dans le site de stockage de CO2 à In Salah. A In Salah, indique-t-il, «un soulèvement progressif des terrains (surrection) et une fuite a été constatée le long d'un puits et a fait l'objet de mesures correctives». L'Ineris publie une liste de 80 sites de stockage de CO2 ou assimilés (dans le monde)où des accidents ont été constatés (fuites, surrections, effondrements?.), la plupart (près d'un cas sur deux) sont des fuites ou éruptions massives, ajoute la publication. Selon le document, ces problèmes sont dus à la non-maturité du procédé. L'étude s'interroge aussi sur les risques sismiques dans les réservoirs géologiques qui servent au stockage du carbone.

UNE TECHNOLOGIE AU STADE DE L'EXPERIMENTATION

In Salah est l'un des projets pionniers dans le monde dont on attend un retour d'expérience dans la surveillance du CO2 géologiquement stocké. Il devrait, à ce titre, aider à l'élaborationde protocoles de surveillance et de vérification du stockage du CO2 dans le sous-sol. Outre cet aspect de sécurité industrielle, la question du coût est posée. Le cout du stockage dans des formations salines et des gisements de pétrole et de gaz naturel épuisés (comme In Salah) peut atteindre8 dollars/tCO2 injectée. Il faut y faut ajouter entre 0,1 à 0,3 dollar /tCO2 pour la surveillance du site. Dans le cas de la capture de CO2 dans des installations industrielles les couts sont démultipliés. Dans une centrale de production d'électricité l'opération de captage du carbone nécessite, selon la technologie, de 10 et 35% de la production totale de l'installation. Conséquence en termes de coût : il faudra construire plus de centrales pour compenser la perte d'énergieutilisée pour piéger les fumées. Selon le ministre américain de l'énergie, cela entrainerait une hausse des prix de l'électricité pouvant aller de 21 à 91%. L'Agence française de l'environnement et de maitrise de l'énergie (Ademe) parle de «coûts élevés et des perspectives de baisse incertaines». L'Union Européenne qui a lancé en mars 2013 une communication consultative sur l'avenir du captage et du stockage du carbone en Europe table sur 2035 pour voir le CCS commencer «à contribuer dans une plus large mesure à la réduction des émissions de CO2 des installations industrielles de l'UE».

DES SOURCES DE REDUCTION PLUS ECONOMIQUES EXISTENT

Une utilisation massive des technologies CCS dans le court et le moyen terme parait donc problématique. Sans compter qu'il n'existe pas de mécanisme permettant de monétiser la réduction des émissions de CO2 à l'aide de la technologie CCS. Le site de démonstration d'In Salah est entrepris sur une base unilatérale, l'Algérie n'ayant pas sollicité des financements internationaux qui sont tout à fait possibles. Un mauvais choix selon un spécialiste : «Pour une entreprise vendant un produit de base (par exemple électricité, énergie, pétrole, gaz, produits raffinés, ciment ou acier), entreprendre une CCS sur une base unilatérale est un non-sens commercial. Tant que le CO2 stocké n'aura aucune valeur commerciale, il y a peu de chance que ceci change». D'autres experts soulignent qu'il existe des sources de réduction de CO2 plus économiques que ces techniques de transition (curatives) encore au stade expérimental.