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LE QUOTIDIEN D'ORAN A DIX-NEUF ANS

par Abdou BENABBOU

Il n'y a pas plus grand drame que celui d'avoir sa jeunesse comme première vieillesse. L'usure précoce, les convictions éphémères n'offrent même pas le petit bonheur que laissent les courtes désillusions qui forgent et construisent l'espoir. C'est que les désillusions sont devenues permanentes et monnaie courante.

Il s'agit bien évidemment d'une déconvenue pour un journal qui accède à ses dix-neuf ans aujourd'hui et qui se surprend à toujours colporter ce qu'il croyait des faits et qui ne se sont avérés que méfaits si tenaces, si redondants qu'il lui est difficile d'échapper à la surdité, devenant presque inaccessible sinon allergique au devoir d'informer. Un devoir censé passionnel parce qu'il procurait la joie de rassembler, de réunir et d'unifier pour respecter la première des responsabilités : construire une Algérie meilleure pour que chacun puisse avoir sa part de sérénité et de paix.

La corrosion de la conscience qu'inflige l'environnement féroce, ses non-sens, nous figent irrémédiablement très loin des guéguerres politiciennes et des turbulences sociales dès lors que nous finissons par être convaincus que c'est toute la nature humaine qui est en crise.

L'Algérie et le reste du monde vivent leurs révolutions printanières chacun à sa façon. La mal vie est générale. Elle a fini par embraser les pays supposés les plus nantis comme les plus miséreux. L'immolation par le feu n'est plus la dernière issue de secours des seuls plus démunis. La folie n'est plus déraison. Le paradoxe aujourd'hui est que le suicide aille de plus en plus chercher ses sources dans la bonne raison. Comme si l'histoire de l'humanité avait fini par transformer la folie en raison. Faute de pouvoir ou de voir se réconcilier les convenances et harmoniser les espaces communs, l'être humain a aujourd'hui tendance à nouer avec sa propre et fatidique remise en question.

Encore une fois, l'Histoire se répète et renoue comme chaque fois avec les haltes des siècles. Toujours aussi exigeante et imposant une formidable et difficile adaptation avec le temps. L'intensité effarante de la mal vie n'est ni locale ni régionale et tous les indices prouvent que c'est le monde entier qui est désemparé face à un séisme planétaire qui met à nu l'incapacité des hommes à maîtriser leur destin.

La nature humaine a cependant et fort heureusement dans l'instinct de survie une exceptionnelle force permanente. Elle est multiforme et peut enfanter l'avancée et le progrès quand elle est partagée. Rendue partage et solidarité, elle est la mère des intelligences qui mènent au bonheur. Mais que de sacrifices et de sueur il faudrait pour apprivoiser la normalité qui s'avère être en définitive le plus inaccessible éden auquel les hommes pourraient accéder.

Le Quotidien d'Oran en est là, armé de ce seul instinct, très loin de toutes les prétentions, et à contre-courant de la pression des visions étroites nourries par les égoïsmes de l'immédiateté. Il n'a pas de leçon à donner mais il reste, malgré les aléas de ses dix-neuf ans, une modeste tribune pour toutes les idées qui mènent vers le progrès, la paix et la sérénité.