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Les trois sources des crédits pourris des banques publiques algériennes

par Yazid Taleb

Du financement obligatoire du secteur public hier à celui de la micro-entreprise aujourd'hui, les banques publiques algériennes, en butte aux injonctions de leur actionnaire unique, peinent à maîtriser la gestion des risques de crédit.

Au terme d'un séjour de deux semaines en Algérie, le chef de la mission du FMI a livré un diagnostic nuancé sur un « secteur financier algérien liquide et bien capitalisé, mais qui demeure sous-développé ». « Si le crédit à l'économie augmente rapidement, il demeure insuffisant pour répondre aux PME. Une plus grande concurrence et de meilleurs outils d'évaluation des risques de crédit inciteraient les banques à s'orienter davantage vers les PME », avait conclu la mission du FMI.

Quelle est la situation du système bancaire algérien ? Le « rapport sur la stabilité financière du secteur bancaire algérien », publié cet été pour la première fois par la Banque d'Algérie mais passé un peu inaperçu, fournit des informations importantes. On y apprend notamment que « le niveau des créances non performantes des banques publiques continue à être une source de préoccupation » pour les autorités financières algériennes. Le niveau atteint par ces créances irrécouvrables est une faiblesse traditionnelle du secteur bancaire algérien. Des taux, de l'ordre de 20%, très supérieurs à ceux des économies voisines ou comparables, étaient encore la règle voici quelques années. Bien qu'encore particulièrement élevé, l'importance de ces crédits « pourris » dans les engagements des banques publiques tend cependant à se réduire ; ils ont été peu plus de 14% fin 2011 contre encore 21% à fin 2009. La Banque d'Algérie y voit une « faiblesse notable des banques publiques par rapport à leurs concurrentes du secteur privé » pour lesquelles les taux, de l'ordre de 3%, sont beaucoup plus faibles.

LE GOUFFRE DES ENTREPRISES PUBLIQUES

On peut sans difficultés distinguer 3 périodes historiques dans la formation des créances non performantes des banques publiques. La première, bien connue, remonte à plusieurs décennies et se poursuit jusqu'à la période présente. Elle est liée à l'engagement imposé aux banques par leur actionnaire unique de financer les entreprises d'Etat « déstructurées financièrement », c'est-à-dire incapables de rembourser leurs dettes. C'est dans le but de compenser cette obligation que le Trésor public « rachète » régulièrement ces créances aux banques de la place. Le rapport de la Banque d'Algérie indique à ce propos que dans le cadre de l'assainissement financier des banques publiques, l'Etat propriétaire a remboursé par anticipation entre 2008 et 2011 une grande partie des obligations correspondant aux créances non performantes que les banques détenaient sur des entreprises publiques déstructurées ou dissoutes. La dette publique, au titre de ce type de créances, a ainsi été ramenée de près de 8 milliards de dollars à fin 2007 à environ 2,5 milliards à fin 2009.

L'ennui est que simultanément les banques publiques ont continué à accumuler des créances non performantes sur des entreprises publiques réputées « viables mais déstructurées », pour des montants proches de 4,5 milliards de dollars? Des montants que le Trésor public a de nouveau pris en charge via l'émission d'obligation d'Etat. Au bout du compte, l'encours des rachats de créances non performantes par le Trésor s'élevait donc encore à près de 7 milliards de dollars à fin 2011. Le rapport de la Banque d'Algérie confirme bien l'ampleur et l'actualité intacte du mouvement incessant de gonflement et de dégonflement des créances impayées sur le secteur public dont l'impact sur le bilan des banques est effacé périodiquement par l'intervention du Trésor.

DES CREDITS « TRES CONCENTRES » SUR DES EMPRUNTEURS PRIVES

La deuxième source de formation des créances non performantes au sein des banques publiques est moins bien connue. Elle résulte d' « une faiblesse des banques publiques en termes de gestion du risque de crédit sur des emprunteurs privés, particulièrement pour la période 2004-2007 ». Durant cette période, note la Banque d'Algérie, « des emprunteurs liés économiquement entre eux et opérant sous différentes dénominations formaient des groupes de fait, dont l'endettement total était insuffisamment apprécié par les banques publiques prêteuses. De tels crédits, très concentrés, accordés à ces groupes informels, se sont progressivement avérés non performants ».

On pense bien sûr à des faillites retentissantes comme celles du groupe Tonic Emballage qui ont fortement fragilisé des banques publiques, notamment la BADR, dont les dirigeants n'avaient pas respecté les précautions d'usage en matière de division des risques.

A la suite de ces « affaires » qui ont défrayé la chronique, « les banques publiques ont renforcé leurs structures de gestion du risque de crédits à l'égard du secteur privé », indique la Banque d'Algérie en soulignant qu'en « 2008-2009, les fonds propres de deux banques publiques ont été renforcés pour un montant total de 42 milliards de dinars intégrés au capital de celles-ci ».

LA BOMBE A RETARDEMENT DE LA MICRO-ENTREPRISE

La troisième source historique de formation des créances non performantes pour les banques publiques est encore mal mesurée. Elle est liée au coût financier des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics pour assurer le financement de la micro-entreprise. Certains experts indépendants le chiffraient récemment à près de 5 milliards de dollars en rythme annuel à la suite de leur montée en puissance des dernières années. Ce sont essentiellement les banques publiques qui payent, fortement incitées à le faire par leur actionnaire unique. La terminologie adoptée par les banques algériennes dans leurs rapports annuels à propos des « dispositifs mis en place par les pouvoirs publics » ou des « dispositifs du gouvernement » est révélatrice du peu d'enthousiasme que ces dispositifs d'exception inspirent aux responsables des établissements bancaires algériens. Leur montée en puissance récente et l'importance qu'ils sont susceptibles de prendre au fil du temps dans le portefeuille des banques est-elle de nature à soulever un problème spécifique d'impayés ? Les informations fournies par le régulateur du secteur et les banques elles-mêmes sont pour l'instant muettes sur ce chapitre. Les chiffres mentionnés pour la première fois par Benmeradi voici quelques semaines renseignent cependant sur l'ampleur d'un problème à propos duquel les autorités financières ont préféré jusqu'ici observer une certaine discrétion.