A la veille du «Sommet de partenariat oriental» de Vilnius regroupant
l'UE et six pays frontaliers de la Russie, l'Ukraine annule sa participation,
suspend la signature de l'Accord d'association avec l'Europe et se déchire
entre pro-européens et prorusses.
La crise politique que vit l'Ukraine depuis jeudi dernier traduit, en
réalité, l'affrontement géopolitique que se livrent l'Union européenne et la
Russie pour la maîtrise des enjeux énergétiques et commerciaux stratégiques que
représentent, autant pour l'Europe que pour la Russie, l'ensemble des pays de
l'Asie mineure. Par sa position géographique, l'Ukraine cristallise cet
affrontement depuis sa séparation de l'ex-URSS en août 1991. Les manifestations
entamées lundi dernier par les partisans d'un Accord d'association et de libre-
échange avec l'UE illustrent le déchirement de ce pays central dans le jeu
d'équilibre entre Moscou et Bruxelles. C'est que jeudi et vendredi prochain
(28-29 novembre) se tient à Vilnius (Lituanie) le «Sommet de partenariat
oriental» et qui prévoyait la signature de l'Accord d'association entre l'UE et
l'Ukraine ainsi que cinq autres ex-républiques de l'ex-URSS que sont la
Géorgie, le Belarus, la Moldavie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Ukraine étant
l'élément central sur lequel se bâtira ce partenariat qui balisera la zone de
libre-échange. Une semaine donc, avant ce rendez-vous capital pour l'Europe, le
président ukrainien, Victor Ianoukovitch annonce, suite à un vote du Parlement,
la suspension du processus de signature de l'Accord d'association avec l'UE. La
raison : l'UE exigeait comme condition de la signature de l'Accord, la
libération de l'ex-Premier ministre, Mme Ioulia Timochenko, qui purge une peine
de 7 ans de prison à Kiev. Au-delà du symbole politique que représente Mme
Ioulia Timochenko (opposition libérale), il faut être naïf pour croire que
c'est la seule raison de cette rupture politique considérable entre les deux
parties. Les causes sont plus complexes et profondes. Rappelons tout de suite
que le président ukrainien a, lors de sa négociation avec les européens, mis
sur la table les pertes financières immédiates avec la Russie, ainsi que le
risque d'une crise énergétique pour son pays, comme conséquences de la
signature de l'Accord d'association avec l'UE : 160 milliards de dollars dont 8
milliards pour la seule facture énergétique dus à Moscou. L'Europe a refusé de
garantir et de suppléer cette perte financière pour l'Ukraine. Du coup, dès
l'annonce de la suspension de l'Accord, et la remise en question du Sommet de
partenariat oriental, les deux premiers responsables européens, le président du
Conseil Van Rompuy et celui de la Commission, Manuel Barroso, se sont fendus
dans un communiqué par lequel ils «désapprouvent avec force la position et les
actions de la Russie». Curieuse façon d'interpréter l'attitude de Moscou. En
plus de réduire l'Ukraine à un pays «potiche» incapable de décider seul,
l'Europe accuse la Russie de défendre ses propres intérêts. Comme si les
intérêts européens devraient prévaloir, naturellement, sur ceux des Russes.
L'Europe fait semblant de ne pas comprendre, ou sous-estime l'ambition et le
projet russe de construction d'une «Union eurasienne» qui regrouperait,
précisément, les six républiques citées plus haut, avec l'Ukraine comme axe
central de cette «Union». Par ailleurs, l'UE impose, à ce jour, d'importantes
sanctions économiques au Belarusse (l'un des invités du sommet de Vilnius), le
poussant par là même dans les bras de Moscou. Comment avec de telles manœuvres
contradictoires et peu rentables au plan politique, l'UE peut-elle contrecarrer
l'influence russe dans ses propres frontières ? On se souvient avec quels
moyens militaires la Russie s'est impliquée, directement, dans la crise
géorgienne de l'été 2008 pour défendre les indépendantistes de l'Ossétie et de
l'Abkhazie. C'est avec la même conviction et des efforts diplomatiques intenses
que Moscou tente encore de faire échec au projet du «Bouclier antimissile» de
l'Otan en Europe centrale (Tchéquie et Pologne). Ce qui se passe aujourd'hui en
Ukraine n'est pas un simple affrontement entre partisans d'un attelage de leur
pays à l'UE et ceux qui veulent rester fidèles à Moscou. Si tel était le cas,
la crise ne déborderait pas les frontières du pays jusqu'à pousser les premiers
responsables de l'UE à «muscler» leurs déclarations et citer, nommément, Moscou
comme responsable de l'échec annoncé du sommet de Vilnius.