L'Empire a des ennemis et des vassaux, il n'a pas
d'amis et donc pas d'encombrantes obligations liées à l'amitié. La France,
toute honte bue et avec une réaction très mollassonne, le découvre avec
l'espionnage de grande ampleur mené par les services de renseignements
américains à ses dépens. Les quelques réactions, de pure forme, exprimées
officiellement, laisseront vite place à la règle de la vassalité admise et
acceptée. Et quand l'émir de l'espionnage saoudien, Bandar ben Sultan al-Saoud,
déclare qu'il va «reconsidérer» les relations de l'Arabie Saoudite avec les
Etats-Unis et prendre ses «distances», dans les bureaux où l'on analyse et où
l'on décrypte, il a dû y avoir un moment de grande hilarité. La décision
saoudienne de ne pas prendre le siège de membre non permanent du Conseil de
sécurité était, a dit l'émir de l'espionnage saoudien, un «message» à l'attention
des Etats-Unis et non de l'Onu. Ce n'est pas faux à la condition expresse de
remplacer le mot «message» par complainte, pleurnicherie, adressée par un
vassal au maître. L'Empire des temps actuels intègre dans le spectacle de sa
politique, la possibilité accordée à ceux qui vivent sous son parapluie
d'émettre ce genre de jérémiades sans conséquences. Cela ne l'empêchera pas de
faire ce qu'il juge utile pour l'Empire et seulement cela. On sait que les
Saoudiens pleurnichent car les Etats-Unis n'ont pas lancé de frappes contre la
Syrie. Et John Kerry a pris note de la «déception» saoudienne du fait que les
frappes n'aient pas eu lieu. Autre source de pleurnicheries saoudiennes, les
discussions menées par les Etats-Unis avec l'Iran. Sur ce dernier aspect, rien
n'indique que cela débouchera sur une baisse des tensions mais on sait, de
manière indubitable, que Washington écoutera Tel-Aviv et non Ryad. Pour la
simple raison qu'Israël est une «affaire interne» à l'Empire et en fait partie.
Et de ce fait, personne ne donne le moindre crédit à la troisième raison des
jérémiades saoudiennes, à savoir le long et interminable calvaire des
Palestiniens. Pour le spectacle, les Américains font savoir qu'ils sont à
l'écoute des Saoudiens mais démentent l'existence de «tensions». Il y a en
effet une limite à ce qu'un vassal peut faire avec l'Empire. L'Arabie Saoudite
a été pour les Américains, pour reprendre une formule choc de feu Houari
Boumediene, un «grand baril de pétrole». Et ils lui ont fait jouer - et le font
toujours - un rôle conforme à leurs intérêts stratégiques. Quand ils font la
guerre, les Saoudiens ont la tâche de faire jouer la pompe au maximum pour
éviter que les automobilistes américains ne découvrent le prix des aventures
guerrières de leurs dirigeants. Cela ne faisait pas de l'Arabie Saoudite un
acteur influent sur la politique américaine même si les dirigeants de
Washington lui donnent l'impression qu'elle pèse. Les bouleversements récents
induits par le développement de l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste
aux Etats-Unis rendent ces derniers indépendants des approvisionnements
externes. Les Etats-Unis se transforment en exportateurs et virtuellement en
concurrents des pays pétro-gaziers. Les jérémiades saoudiennes n'y changeront
rien. Même si le spectacle doit continuer et qu'à Washington on fait mine de
prendre au sérieux les propos de l'émir-espion.