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Entre le 4ème mandat et le 5ème calife : quel est notre but à nous ?

par Kamel Daoud

Phrase extraite d'une conversation d'hier : «les islamistes attendent le paradis, le pouvoir attend le pouvoir encore, et nous ?». Car c'est vrai : qu'est-ce qu'on attend, nous qui n'avons pas pour but le régime, le califat, le djihad, la fatwa ou la bénédiction de Bouteflika et ses employeurs ? C'est quoi notre but dans la nation ? En gros, on est bien coincé entre Cheikh Chemssou, Echourouk, les bigots du siècle nouveau, le fatalisme de nos livres et de nos alphabets et le Pouvoir. On sait qu'octobre 88 a été un échec qui s'est retourné contre nous, que le «printemps arabe» a été volé et vendu puis détruit et récupéré ; on sait que prendre les armes tue le preneur d'armes, que partir c'est mourir et que rester c'est pourrir. D'aucuns disent qu'il faut se taire et vivre sa vie sans vouloir changer le monde. Cela est logique mais pas évident : la vie que l'on veut vivre se rétrécit, est rognée par la rouille, elle est encerclée et condamnée et criminalisée. On ne peut pas vivre sa vie sans la partager. Et en face de nous, il y a ceux qui veulent nous voler cette vie, nous l'ôter, nous culpabiliser et qui nous regardent avec haine, avec mépris ou qui commencent déjà à nous lapider et à nous jeter vers la mer ou la valise. On ne peut pas vivre sa vie si on la cache et si on est traqué et si on est réduit à un paria chez soi dans la terre des siens. D'autres disent qu'il vaut mieux partir avec idées et enfants. Cela se défend, mais cela tue la vie en soi. Qu'est-ce que réussir et rire pour moi si je le fais sur une ile déserte, une salle vide, là où les miens, mes ancêtres, mes descendances ne me regardent pas, ne partagent pas avec moi le pain ou le sein ? On ne recommence pas sa vie après une fuite, on continue seulement de fuir. Ceux qui sont partis sont souvent détruits ou torturés par l'impossibilité de revenir et l'impossibilité d'arriver ailleurs, définitivement, pleinement. Et puis cette terre est mienne, son ombre, ses arbres.

D'autres disent qu'il faut s'enrichir. Acheter des murs hauts, un groupe électrogène, un fusil, un puits, une bâche d'eau, mettre ses enfants dans une école «privée» et s'autonomiser absolument. Une mentalité de survivant à la fin du monde sauf que c'est la fin de soi, pas du monde. Cela développe en soi la froideur, le mépris, la colère. On finit par ressembler au pouvoir que l'on déteste à cause du club de pins que l'on se construit inconsciemment. D'autres se lamentent et disent que rien ne sert à rien. C'est une conclusion juste. Mais c'est celle des morts. Elle ne me servira à rien sauf à me pendre pour conclure. Il y a aussi la solution de l'enrichissement : avec de l'argent on peut tenir le mauvais monde à distance et voyager et se laver les mains de tous. Cela est vrai mais un voyage coûte cher à l'aller et, pire encore, au retour. Car on revient toujours. Il y a enfin la solution du compromis : je ne peux pas changer le pays ou changer de pays, alors je m'applique, dans le sacerdoce discret de mon engagement, à corriger la souffrance que je rencontre et à aider l'homme que je croise. C'est honorable mais low cost.

Alors la question reste posée sur nos têtes 88 comme un corbeau : quel est notre but à nous ici ? On est de moins en moins nombreux, on est épars, on n'a pas l'argent du Golfe, on n'a pas de religion qui tue et on est désespéré et on n'a qu'un seul bras et même pas une chaise roulante. Alors que faire ? Faire un choix de vie et l'assumer face aux autres. Le régime veut le régime et les islamistes veulent le califat. Les deux se battent pour des veaux d'or. Nous, on le fait pour nos enfants. Et pour que nos enfants aient un pays et pas seulement un souvenir de pays. Tous ceux qui ont essayé de coloniser ce pays et de traire la vache aux orphelins ont fini par partir et être vaincus. C'est la loi du pays. Ceux qui veulent le 4ème mandat et ceux qui veulent le 5ème calife ne mourront jamais à ma place. Ils ne vivront donc jamais à ma place, ici. Ils sont un produit dérivé du pétrole et moi je suis l'enfant de mes ancêtres. Selon le manuel de survie de l'Algérien face à l'Algérie, «résister n'est peut-être pas gagner la guerre, mais c'est toujours ne pas tout perdre».