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Tiaret: Des bêtes «dopées» qui coûteront les yeux de la tête !

par El-Houari Dilmi

Cette année encore, le mouton a bien l'intention de vendre chèrement sa peau. La semaine écoulée, au marché à bestiaux de Tiaret, un antenais d'une quinzaine de kilos à peine se négociait autour de trente mille dinars sous le regard hébété du chaland.

Véritable baromètre des prix des vian-des rouges, la capitale des Hauts-Pla-teaux de l'Ouest compte le cheptel parmi les plus importants du pays, avec près de 1,2 millions de têtes. Mais à quelques jours de la fête du Sacrifice, la tendance est plutôt à la hausse, même si d'aucuns misent sur une chute des prix en raison de l'importance du cheptel, «qui s'est régénéré grâce à la lutte contre la contrebande aux frontières», nous dit un connaisseur des arcanes de la terre. Le «nouveau» cette année, c'est que certains éleveurs peu scrupuleux doperaient leurs moutons pour les vendre à des prix très élevés. L'an dernier, le Syndicat national des vétérinaires fonctionnaires de l'administration publique avait mis en garde contre ce genre de pratique. «Certains éleveurs administrent aux ovins et même aux bovins des hormones de croissance interdites d'utilisation mais importées frauduleusement. D'autres gavent les moutons avec des somnifères et des hormones de croissance à usage humain qu'ils acquièrent auprès des pharmacies», expliquait le syndicat.

Donc, après «l'essorage» du Ramadhan et de l'Aïd suivi, une encablure plus loin, par «l'étau» de la rentrée scolaire, la ménagère n'a pas eu le temps d'attendre l'autre Aïd pour mettre déjà un genou?et demi par terre. Que dire alors de ceux qui seront obligés de faire l'impasse sur une fête à la charge symbolique des plus fortes chez la famille algérienne. Il n'y avait pas grand monde tôt dans la matinée de ce lundi au marché à bestiaux de Tiaret. «Les gens n'ont plus d'argent, ils ont appris à compter leurs sous», nous serine à l'oreille un maquignon, venu de Aîn Dheb. Mais si, en effet, le cheptel est si profus au point de donner l'illusion «cruelle» que l'on peut acheter une bête moyennant une poignée de dinars, les prix donnent le tournis au plus averti des arcanes des «choses de la terre».

Par un temps estival, un homme au sourire nerveux, veut à tout prix faire la surprise à ses enfants dont le cadet vient de faire sa rentrée à l'école. Abordant avec un sourire feint un maquignon aux mains démesurément grandes, il s'évertue à marchander une bête à fière allure. Après moult palabres et suppliques, le digne père de famille finit par pousser un gros soupir avant de consentir à casquer la modique somme de vingt-huit mille dinars, «un sacrifice qui ne vaut pas son pesant? de viande», trouve-t-il le moyen de plaisanter. Dans ce véritable capharnaüm qu'est le marché à bestiaux de Tiaret, les moutons sont agglutinés par pelotons entiers mais les prix continuaient à monter jusqu'à donner? la nausée à quelques bouchers, révulsés à l'idée de rentrer bredouille. Une vigoureuse bête encornée «tenue en laisse», un maquignon, le regard vif, cligne de l'œil dans toutes les directions à la recherche d'un client qui ne viendra sans doute pas et pour cause, la bête d'une quarantaine de kilogrammes, à l'allure «accrocheuse», vaut un prix «fou» puisque son «proprio» ne veut pas la céder à moins de 45000 dinars cash.

La loi du plus malin !

En vertu d'une «loi» non écrite vieille comme le monde, les prix des viandes comme ceux, d'ailleurs, des fruits et légumes prennent l'ascenseur à chaque fois que le ciel se montre généreux. Cette année, la saison agricole a été bonne avec une production qui a frisé les trois millions de quintaux. L'orge, aliment de bétail par excellence, est disponible en quantités suffisantes à des prix à portée des éleveurs. Mais, selon les connaisseurs, les éleveurs n'ont plus besoin d'acheter de l'orge puisque la vaine pâture et les terres de parcours suffisent largement à nourrir leurs cheptels. «Qu'il est loin ce temps où, à la suite d'une longue période de sécheresse, les éleveurs étaient obligés, la mort dans l'âme, de sacrifier une bête pour nourrir trois autres», se souvient un boucher, installé depuis des lustres au marché couvert de Tiaret. La semaine écoulée, au marché à bestiaux de Sougueur, si le nombre de têtes de mouton et autres caprins proposés à la vente était tout simplement impressionnant, les prix battaient tous les records : un antenais d'à peine dix-huit kilos a été cédé à un jeune marié contre la modique somme de vingt-six mille dinars. Les spécialistes s'accordent à souligner que comme chaque année, la rétention des cheptels, dans une wilaya qui compte, faut-il le rappeler, l'un des plus importants effectifs ovins de tout le pays, trouve son explication par l'acquisition en «quantités industrielles» de moutons par des intermédiaires et spéculateurs de «métier», qui ne perdent rien, bien au contraire, à engraisser presque gratuitement les troupeaux, en attendant tranquillement la saison du Hadj et les fêtes du sacrifice du mouton pour, littéralement, «flamber» le marché avec des prix qui frisent l'imaginaire. «De toute la carrière de boucher depuis une trentaine d'années, jamais le commerce des viandes congelées n'a été aussi florissant que durant le dernier mois de Ramadhan», confesse un boucher qui envisage de mettre la clef sous le paillasson aussitôt après les fêtes de l'Aïd. Pour lui, la hausse vertigineuse des prix de la viande fraîche s'explique aussi par l'envahissement du marché local par des quantités astronomiques de viandes congelées.

La «période de soudure» comme on dit dans un autre marché, représentée par le grand pèlerinage et l'Aïd El-Adha, sont une période où, traditionnellement, les prix des viandes prennent l'ascenseur sans crier gare, nous rappelle Ammi Miloud, vendeur de pastèques à ses heures perdues.

«Depuis l'été dernier, en achetant des moutons sur pieds pour les revendre au détail, j'arrive même pas à couvrir mes frais», se plaint notre interlocuteur. «Même les abats, le bouzelouf ou encore la peau de mouton ne trouvent plus preneur, ce qui grève dangereusement nos charges au point que la majorité des bouchers sur la place de Tiaret travaillent à perte», ajoute-t-il, le regard fuyant, comme pour éviter des esses accrochés au plafond désespérément vides. Après un Ramadhan «ruineux», suivi dans la foulée par une rentrée scolaire tout aussi «essoreuse», la priorité de la ménagère est de faire plus attention à ses sous, même si elle est disposée à recevoir un... autre coup de corne à son porte-monnaie en sacrifiant à un rite quasi inévitable, quoi qu'il en coûte. Et même si le poulet a perdu quelques plumes pour (re) tomber dans le plat du consommateur, nombreux sont ceux qui n'ont pas goûté à un traître morceau de viande «ghalmi» depuis plus d'une année... Vendredi encore, au marché des fruits et légumes de «Volani», le prix de la viande ovine avait largement franchi la barre «fatidique» des huit cents dinars le kilogramme, un avant-goût des plus amères de ce que sera la fête de tous les soucis.

Même si, pour ce boucher d'un certain âge, assis sur un tabouret déglingué au marché couvert de la ville, à attendre un improbable client, on ne peut jamais avoir la peau de l'ours sans l'avoir tué...Cette année encore, les éleveurs craignent la blue tongue, plus connue sous le nom de fièvre catarrhale. Maladie virale transmise par des moucherons piqueurs, la fièvre catarrhale touche les ruminants d'élevage, les moutons notamment. Les symptômes de la maladie se caractérisent par une salivation excessive, la destruction des muqueuses du museau, une langue enflée et colorée de bleu, fatigue générale et manque d'appétit.