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Eleveurs contre spéculateurs

par M. S. Laradji

Mécheria, le plus grand centre urbain de la wilaya de Nâama, constitue l'un des plus importants marchés de bétail du pays. Il regroupe près de 20.000 têtes entre ovins, bovins et caprins. Il contribue largement au ravitaillement du marché national en viande rouge. Par le passé, conte-t-on, le mouton de Mécheria était un type très recherché sur les marchés moutonniers d'Algérie et de France (Marseille), c'est une bête à tête rouge, aux reins larges, aux membres courts et à la chair excellente.

Déduction faite des achats effectués en vue du ravitaillement local ou de quelques expéditions sur les marchés du Tell, la majeure partie des moutons de Mécheria était réservée à l'exportation, ajoute-t-on. Les moutonniers du Centre travaillaient exclusivement pour les commissionnaires étrangers. Ce sont ceux-ci qui effectuaient les demandes, avançaient les fonds et souvent fixaient les prix. Malheureusement, durant les années 70 à 80 et à la faveur de la sécheresse, de la dégradation des conditions d'élevage et le trafic illicite du cheptel vers les pays voisins, le mouton à tête rouge (El Hamra) a disparu du territoire pour aller faire le bonheur des autres.

Le déficit que la race «El Hamra» a laissé derrière elle fut progressivement comblé par l'introduction de la race blanche dite «El Bergina» qui constitue, aujourd'hui, l'essentiel des cheptels de la wilaya de Nâama.

Mercredi, jour du marché hebdomadaire de Mécheria. Il est 6h du matin. Le jour pointe. Ces troupeaux entrent dans le vaste quadrilatère. Près de la porte, le collecteur de droits de place agrippe les propriétaires au passage, bon gré mal gré. Il faut mettre la main à la poche. Un double lieu d'alfa tressé unit les têtes par groupe de dix ou vingt. Agneaux, antenais-broutards, béliers, côte à côte, fraternisent. Les bergers frappent à coup de gourdins quelques bêtes récalcitrantes. Les cris, les bêlements se répercutent à travers le village encore endormi. Peu à peu, les marchands arrivent à bord de leurs camions immatriculés dans plusieurs wilayas (Oran, Alger, Annaba, M'sila, Tiaret, Tébessa?). Ce sont généralement des courtiers. Ils constituent l'élément fantaisiste du marché. Ils sont engagés par des maquignons pour lesquels ils effectuent les achats. C'est eux, nous dit-on, qui fixent les prix. En cette veille de l'Aïd El-Adha, ils peuvent réaliser de gros bénéfices. Les maquignons sont aussi de la partie. Ils vont et viennent parmi la foule. Des mains expertes fourragent dans les toisons éparses, jaugeant les reins, les côtes. Des discussions véhémentes éclatent. Des prix sont lancés. Et contrairement à la tendance générale qui se dégage dans plusieurs régions du pays annonçant des hausses des prix du mouton, le marché à Mécheria offre une nouvelle réalité. Ainsi, «el hawli», la bête la plus convoitée pour accomplir le rituel d'Abraham et qui, la semaine dernière seulement, n'était pas cédée à moins de 45.000 DA, a vu son prix chuter à 40.000, 38.000 et 36.000 DA. L'antenais, de son côté, a vu également son prix descendre de 35.000 à 32.000 et 30.000 DA. L'agneau de 8 mois, favorable également au sacrifice, a été vendu entre 27.000 et 30.000 DA alors que son prix dépassait 33.000 DA, la semaine dernière. Seules les brebis engraissées, a-t-on constaté, ont vu leur prix grimper jusqu'à 35.000 DA, alors que la semaine dernière, il ne dépassait pas le seuil des 28.000 DA, au même titre que le bélier aux cornes bien enroulées qui maintient toujours son prix vacillant entre 50.000 et 70.000 DA à cause, nous dit-on, de la faiblesse de l'offre concernant cette espèce.

A la question de savoir quelles seraient les raisons de cette baisse peu attendue du prix du mouton dans la région, surtout à une période de forte demande, un professionnel répondra. «Les éleveurs de Nâama, pour ne pas dire la majorité, ont subi cette année des pertes considérables parmi leurs cheptels à cause de certaines maladies nées d'une alimentation non adaptée; ajoutée à cela la cherté de l'aliment du bétail qui dépasse le seuil des 32.000 DA/q. A défaut donc d'acheteurs au prix qu'ils ont fixé pour amortir les charges, la majorité ont fini par «brader» leurs troupeaux car ne pouvant plus supporter ces charges? ».

Un autre connaisseur, interrogé sur ce phénomène, explique : «C'est le verrouillage des frontières qui est à l'origine de cette baisse du prix du mouton, avance-t-il. Les acheteurs qui exerçaient dans le commerce illicite des cheptels faisaient grimper les prix à des seuils intolérables parce qu'ils avaient les moyens d'écouler les cheptels ailleurs, réalisant ainsi des bénéfices colossaux, au détriment de l'économie nationale. Aujourd'hui, et grâce à la surveillance qui s'exerce d'une manière rigoureuse sur les frontières, l'on assiste à un retour à la normale et c'est à la satisfaction de tous», se réjouit-il.