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L'album de famille nationale : au-devant, au milieu, un homme
assis. Comme son peuple, mais lui sur une chaise roulante. Le peuple sur sa
chaise immobile. Ou sur la tête du plus bête. Puis, à coté, son frère. Assis à
côté de l'assis. Sur une chaise flottante. A côté des à-côtés, vers la gauche
et la droite, des hommes couchés : Amar Ghoul, Saâdani, Bensalah, quelques
ministres de main, des conseillers. Certains couchés par fatigue et amitié,
comme l'ancien ambassadeur algérien en France qui vient d'être décoré de la
Légion d'honneur française. Des restes d'autrefois, un Medelci pétrifié dans le
sourire de la Joconde. Un Belaiz très sourcilleux des trompettes et des
fanfares, un Louh toujours juché sur un poteau de légende. D'autres sont
adossés au loin, vers l'arrière-plan, discrets mais encore à moitié debout, sur
un coude ou une terrasse d'immeuble à Oran : des ministres comme Zerhouni.
Entre les deux, Sellal, souriant, ni debout, ni couché mais en tangente
attentive et prudente. Puis les hommes qui sont assis entre la chaise qui
flotte et la chaise qui roule et qui sont assis sur les couchés : Gaïd Salah,
les autres Salah (s) du même métier, les gens puissants, quelques militaires
qui ont survécu à la purge, El Hamel, premier de la classe. Déjà discrets,
repentis eux aussi, profil bas, priant avec ferveur Dieu et parlant avec
componction de l'au-delà. La mode est aux militaires fervents pratiquants, gage
de leur capacité d'obéissance et aux policiers qui ne font pas de politique.
Puis il y a les gens écrasés, qui s'écrasent eux-mêmes, visant un aplatissement
parfait : quelques conseillers à la Présidence qui ont pour métier de
conseiller un homme qui n'écoute que ses cheveux et son frère et Salah Gaïd
pour le moment.
L'album, avec agrandissement adéquat, permettrait de voir sur le reflet du miroir du fond quelques fantômes : des hommes d'affaires connus par l'inventaire de la rumeur algérienne. Des anciens amis. Un chanteur de Tlemcen. Un cheikh de zaouïa entre Oran et l'ouest. Ni debout, ni couchés, ni aplatis. En incrustés, en ciment de jointure pour la dalle de sol et les mandatures. Puis, en ombre flou artistique, les autres, moi, vous, eux, les suivants, les à venir, les promis et ceux en instance. Epars, éparpillés, bouche ouverte sur le mot ou le pain, opposants usés ou buveurs de café sur la lune de nos ancêtres. L'os est une peine et le muscle une corvée. Déjà qu'un index suffit pour vivre et gouverner pourquoi user le reste du corps ? Tous assis donc au pays, immobilisés, en robe de chambre, en Lacoste, en survêtement. C'est le temps sans temps, la convalescence. On n'a plus rien à faire, on est allongé, le monde « arabe » se soulève, nous on se dépose. On est entassé, on macère et on se dilue comme des feuilles de thé, boisson connue pour sa capacité à immobiliser le temps en le sirotant. La photo de famille exige l'immobilité absolue pour être une réussite. Et c'est pourquoi personne ne bouge. Pourquoi le faire ? Le mouvement n'apporte rien. Bouger n'est pas la rime du rouget. L'histoire est une corvée. La robe de chambre est désormais un uniforme national. Le survêtement vert ? Une tenue de travail. Assis. |
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