Pour son dernier clip série «résurrection» Bouteflika était
habillé avec une veste sport label Lacoste. Avec le signe du crocodile.
Peut-être animal symbolique des lieux. Le crocodile étant connu pour sa vie
entre deux eaux et son bon dos. Le président, à l'occasion, avait reçu Sellal,
Premier ministre et surtout Medelci pour son dernier jour de ministre fictif.
Le plus fascinant cependant n'était pas cette audience qui intervient dans la
série du « je suis toujours celui qui décide» mais le reflet d'un autre homme
qui apparaît, en second plan dans un miroir. Une ombre habillée en vert,
reflétée par accident par un miroir que personne ne semble avoir remarqué que
les quelques millions d'Algériens anonymes. On y voit, rapidement, en
minuscule, en muet, mais en vert la silhouette de Saïd, le frère, le vrai
Bouteflika désormais selon les mauvaises langues. Dans la tradition du pays qui
adore les mystères et les énigmes, Saïd fascine désormais. On en parle avec
murmure, avec étonnement, avec interrogation, avec sous-entendu dans les
milieux d'affaires, à Alger et pendant les longues soirées d'analyse et de
chiromancie. La question étant toujours comment cet homme qui ne possède pas de
bataillons et de régions militaires est devenu puissant sans galons, sans
casernes et sans dossiers ? Comment peut-on être un général major civil ?
Comment cet ancien syndicaliste discret est devenu un puissant ? Car à l'homme
on prête un téléphone et le bras de dieux avec l'index du roi. Il gouvernerait
par sa voix, son ordre et sa qualité de frère. Sa puissance même filiale reste
cependant inexplicable. Dans l'Algérie de toujours, le livret de famille n'a
jamais autant remplacé la Constitution. Légende vraie ou surfaite ? Il faut
être soit proche soit victime du premier cercle pour trancher et le savoir. En
attendant, l'Algérie nourrit encore à la cuillère un nouveau mythe dans la
lignée des salons, des clans, des cabinets noirs et des décideurs. On aime ce
maquis du maquis, cette clandestinité du sens, ce jeu d'ombres qui donne au
politique l'épaisseur d'une métaphysique polythéiste. Sans elle, on est obligé
d'affronter le réel par l'évidence de notre responsabilité. Donc, si Saïd
n'existait pas, il aurait fallu peut-être l'inventer. Mais cet homme existe ou
pas ? Personne ne sait. Même à la télévision on ne voit que son reflet vert. Un
jeu de miroir. On le dit proche de certains milieux d'affaires, de certains
hommes qui lui servent de bouton, capable de soulever une montagne avec un
téléphone et puissant à cause de la faiblesse de son frère et du reste des
Algériens. C'est un mythe et on gouverne les peuples par des mythes comme le
savent les gens intelligents.
À la fin? L'Algérie est en train d'exprimer son fantasme
malsain peut-être. Le rêve de subir une dictature qui est désirée presque comme
une punition. Certains rêvent de soumissions. Ou peut-être est-ce le retour de
la manivelle : le pays du nous sommes tous frères sera gouverné par le frère de
personne sauf de son frère. Les temps futurs seront durs cependant si ce reflet
est vivant car il a le pouvoir sans avoir la responsabilité. Comme tous les
fantômes. Il fera peur sans exister. Il habitera dans les têtes et dans nos
lâchetés. Comme tous les fantômes. Les dictatures naissent de l'étrange besoin
de se faire mal chez certains ou de se faire peur avec des histoires de
fantômes. On disait le général Medienne sans portrait. Saïd quant à lui est
sans corps et nous sans bras.