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La nouvelle saison
agricole a démarré dans la plaine du Chéliff. Dans la douleur. Le changement,
perceptible dans les villages et dans les champs, a lieu progressivement à
partir du 20 août, quand les fellahs commencent à préparer les champs pour la
prochaine récolte de pomme de terre.
A la mi-septembre, la période de plantation sera pratiquement achevée, grâce à la mécanisation. La terre change alors de couleur, quand la pomme de terre commence à pousser. Le rouge (hemri) et ocre de l'été laissent la place au vert, à mesure que les plants poussent. En quelques semaines la métamorphose est complète. Un décor aride et rugueux se transforme en un vaste espace de verdure. En ce début septembre 2013, pourtant, la nouvelle saison ne démarre pas dans l'enthousiasme. Bien au contraire. Les fellahs, ceux qui font la notoriété de la région, avec leurs milliers de tonnes de pomme de terre, de pastèques et de melons, sont à genoux. Beaucoup peinent à se lancer dans un nouveau cycle de production, après avoir travaillé à perte pendant deux récoltes de suite. Curieusement, ce n'est pas la faute au mildiou, ni à une mauvaise récolte, même si certains agrumes ont donné des rendements moyens. «Le problème, depuis deux ans, c'est le marché», explique un fellah. «La pomme de terre n'a jamais atteint des prix aussi bas depuis une décennie», dit-il. Les principaux produits, pomme de terre, tomate, oignons, pastèques et melon, sont descendus sous le seuil des quinze dinars sur les marchés de gros. «A ce niveau de prix, on couvre à peine le coût de la main d'œuvre pour la récolte et le transport», selon un fellah. ENDETTEMENT INQUIETANT Il n'est pourtant pas question d'abandonner. Pour la prochaine récolte, les fellahs n'achètent pas de semence. Ils utilisent la récolte de mai-juin. Pour eux, c'est un besoin financier qui est ainsi évacué. Mais les signes ne trompent pas : la semence de pomme de terre a atteint 20 dinars le kilo fin aout, contre 100 dinars en été, lorsque les fellahs utilisent la semence d'importation. « La chute du prix de la semence va encourager beaucoup de fellahs à repartir pour un nouveau bail », estime un agronome spécialisé dans la vente de produits phytosanitaires. Mais selon lui, « l'endettement des fellahs a atteint un seuil alarmant ». Beaucoup accumulent les dettes de deux récoltes successives réalisées à perte. Leurs fournisseurs traditionnels, à travers des réseaux de connaissance, « commencent à se poser des questions sur leur solvabilité », dit-il. Cette situation délicate est, paradoxalement, le résultat d'un succès réalisé par le ministère de l'agriculture. Celui-ci, soucieux d'augmenter coûte que coûte la production, a lancé des mesures d'encouragement, qui ont incité les fellahs à des investissements massifs, avec notamment la découverte, au fil des ans, de nouvelles régions productrices, comme Tiaret, El-Oued, Mostaganem. Mais la production dépasse visiblement les capacités de stockage disponibles, ce qui provoque une saturation du marché, et une chute des prix. TROUVER DES DEBOUCHES POUR LE SURPLUS Le ministère de l'agriculture se trouve dès lors contraint d'envisager de nouvelles mesures pour assurer une stabilité du marché. En exportant une partie du surplus par exemple. Ou en favorisant l'émergence d'une industrie de transformation qui puisse l'absorber. Autre curiosité, ces difficultés ont réorienté certains fellahs vers les céréales. Traditionnellement, les céréales constituent le créneau le moins rentable en terre irriguée. Il a d'ailleurs fallu l'intervention de l'administration, il y a trois ans, pour imposer aux fellahs exploitant des terres publiques de revenir aux céréales. Mais quand le marché s'est retourné, la culture des céréales s'est de nouveau imposée. Elle est plus sûre, présente moins de risques, même si les bénéfices sont nettement plus modestes, et la création d'emplois plus réduite. Quant aux nouvelles régions productrices, elles pensaient découvrir l'eldorado, elles plongent dans l'inconnu. La pomme de terre plantée au début de l'été, et récoltée en septembre, est un miracle de la nature. Mais quand elle atteint à peine douze dinars sur le marché de gros, le fellah se pose des questions. Etait-il nécessaire d'engager tout cet effort pour un tel résultat ? |
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