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ENTRE LES YEUX, LOIN DES PRECHEURS DU VIDE

par M. Saadoune

Des poids lourds de la vie politique et sociale tunisienne, le chef du mouvement Ennahda Rached Ghannouchi, celui de l'Union générale des travailleurs tunisiens, Houcine Abassi, et le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, se rencontrent ce lundi. Ennahda et l'UGTT sont des acteurs majeurs en Tunisie et le fait qu'ils se rencontrent dans un contexte de crise est un bon signe.

La vie politique tunisienne est trop traversée par des acteurs au poids social très relatif mais à la présence «médiatique» surabondante. Cela donne souvent une image, faussée, d'un pays tiraillé par des extrêmes et où des minorités agissantes et hyperactives mènent le jeu. Que des acteurs autrement plus représentatifs et influents se mettent à se parler les «yeux dans les yeux» ne peut être que positif. Il évite à ce que le débat politique soit pris en charge et orienté par les médias. Et en Tunisie, c'est sans doute un effet des années Ben Ali, la presse est dans une logique de surenchère idéologique où l'on peine à trouver les informations. Mais où les outrances, les insultes et les fausses informations sont légion. Le dialogue direct permet ainsi à ces acteurs importants de discuter de leur vision, pas aussi inconciliables qu'on ne le prétend, sur la manière de décrisper l'atmosphère et de rechercher les solutions les plus viables pour la Tunisie.

Il y a manifestement un terrain d'entente entre les deux points de vue, la puissante centrale syndicale tunisienne a rejeté les appels à la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC) formulés par des éléments de l'opposition de gauche mais aussi les bénalistes sur le retour. C'est en fait un refus de revenir en arrière et d'effacer tout le travail qui a été accompli, tant bien que mal, durant la transition. L'UGTT, bien qu'elle soit courtisée par les opposants à la troïka, ne voit pas quel est l'intérêt de la Tunisie - et des travailleurs qu'elle représente - à créer une situation de vide institutionnel alors qu'il s'agit de gagner en stabilité pour relancer l'économie. Par contre, la centrale syndicale veut que la situation de crise créée par l'assassinat d'un autre opposant de gauche soit gérée de manière consensuelle. Et aux yeux de la centrale, il faut changer de gouvernement et aller vers un cabinet de technocrates ou d'union nationale.

EN CLAIR, ENNAHDA POUR DONNER DES GAGES DANS CETTE DERNIERE «LIGNE DROITE» D'UNE TRANSITION CHAHUTEE VOIRE MENACEE DEVRA RENONCER A DIRIGER LE GOUVERNEMENT. JUSQU'A PRESENT, LE MOUVEMENT ENNAHDA TERGIVERSE SUR CETTE QUESTION EN PARLANT D'ELARGISSEMENT DE LA COMPOSITION DU GOUVERNEMENT PLUTOT QUE DE DEMISSION. IL A DONNE L'IMPRESSION FACHEUSE DE S'ACCROCHER A LA DIRECTION DU GOUVERNEMENT ALORS QUE L'ENJEU POUR LA TUNISIE EST D'ALLER AU BOUT DE LA TRANSITION AFIN DE SE DONNER DES INSTITUTIONS DEMOCRATIQUES PERENNES. ENNAHDA A CEPENDANT VEILLE, SAGEMENT, A NE PAS FERMER LA PORTE. IL A REÇU UN SIGNAL FORT DE MUSTAPHA BEN JAAFAR QUI A PRIS UNE DECISION, JURIDIQUEMENT CONTESTABLE, DE SUSPENDRE LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE POUR FORCER LES ACTEURS A LA NEGOCIATION. BEN JAAFAR COMME HOUCINE ABASSI VONT ESSAYER DE CONVAINCRE GHANNOUCHI DE NE PAS S'ACCROCHER AUX ASPECTS TACTIQUES ET DE SE PROJETER SUR LA VISION STRATEGIQUE DE LA REUSSITE DE LA TRANSITION DEMOCRATIQUE EN TUNISIE. ET L'ENJEU DE CETTE REUSSITE N'EST PAS QUE TUNISIEN. C'EST CE QUI POURRAIT SE DIRE «ENTRE LES YEUX» ET LOIN DES BRUITS DES PRECHEURS DU VIDE.