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UNE GRACE ROYALE CHOQUANTE

par M. Saadoune

Les temps ont bien changé au Maroc. Grâce à internet les ukases du roi ne passent pas comme une lettre à la poste. Sa dernière décision prise pour faire plaisir à son «collègue» espagnol de libérer 48 détenus espagnols et parmi eux un pédophile reconnu coupable du viol de 11 enfants de 4 à 15 ans suscite une colère sans précédent dans le pays. Un appel à manifester pour la soirée du vendredi à Rabat lancé sur Facebook a reçu en quelques heures l'adhésion de plus de 21.000 Marocains.

Les commentaires sur les réseaux expriment l'accablement, l'indignation et même de la rage. Le ministre de la Justice, islamiste du PJD, Mustapha Ramid, montre à quel point le «changement» au Maroc a été une fiction. Face à une décision qui choque profondément les Marocains, il se contente de confirmer et de jouer le rôle de l'exécutant obéissant. «L'administration a pour mission d'exécuter. Cet individu fera l'objet d'une extradition et il sera interdit d'entrée au Maroc». Mais si le ministre du PJD n'est «pas habilité à commenter» la décision royale, sur les réseaux sociaux les Marocains s'en chargent avec beaucoup de vigueur. Aucune complaisance royale, ni même soucis diplomatiques ne justifient, à leurs yeux, qu'un homme reconnu coupable et condamné à 30 ans de prison pour avoir violé des petits Marocains soit libéré après avoir purgé à peine deux ans de prison.

Un pédophile espagnol sévissant en Espagne aurait-il bénéficié d'une telle largesse ? La réponse est bien entendu : non ! La différence est qu'en Espagne la monarchie est constitutionnelle et le droit de grâce ne s'exerce pas comme il plaît au roi. La secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) marocain, Mme Nabila Mounib, a posé ouvertement la question de la suppression d'une grâce royale qui s'exerce «hors de la Constitution et au-dessus de toutes les lois». Pour elle, il est impossible de construire un Etat de droit quand les droits les plus élémentaires du citoyen marocain et la dignité sont piétinés. «C'est une offense aux Marocains», a-t-elle dit. Et on peut être certain qu'elle exprime un avis très dominant dans un Maroc qui ne comprend pas comment le roi et ses conseillers ont pu fêter le 14ème anniversaire de Mohammed VI sur le trône par une décision aussi scandaleuse.

Il est clair que le «geste royal» est, beaucoup de Marocains le disent, au souci d'avoir le soutien politique de Madrid sur le dossier du Sahara Occidental. C'est une «realpolitik» des plus perverses - et le mot n'a rien de déplacé - qui envoie un très mauvais signal à l'extérieur. Le Maroc, ce n'est pas un secret, connaît un vrai problème de tourisme sexuel avec des Européens qui débarquent pour «s'offrir» des petits et des petites Marocaines. Il y a eu ces dernières années avec des drames médiatisés des mouvements de dénonciation au Maroc sur le thème de nos enfants ne sont pas vos proies. Ces mouvements, même s'ils sont imparfaits, étaient un signal à ces «riches touristes» que les Marocains comme les autres peuples ne supportent pas les pédophiles et les violeurs.

La justice en condamnant les criminels envoie, en principe elle aussi, un message de dissuasion. Une grâce royale, même drapée de la realpolitik, qui élargit un pédophile vient ruiner tout le travail que mènent les associations marocaines contre cette forme de barbarie. On comprend très bien le sentiment d'indignation qui secoue les Marocains. On ne peut que le partager. Mohammed VI a commis une grâce insupportable ! Et les Marocains le disent !