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LA PROIE POUR L'OMBRE

par M. Saadoune

Ali Larayedh, Premier ministre tunisien, reste arcbouté sur le refus d'une démission du gouvernement au motif qu'il ne faut pas que l'exécutif «cesse de travailler». Il s'est dit favorable à un élargissement de la coalition gouvernementale actuelle. En réalité, il n'ignore pas que «l'élargissement» dont il parle n'est pas faisable tant la méfiance - qui n'exclut pas de la mauvaise foi chez certains - chez les opposants «laïcs» est grande.

Le refus d'envisager l'idée de gouvernement d'union nationale qui ne serait pas dirigé par Ennahda témoigne d'une absence de vision et d'une mauvaise évaluation des menaces qui guettent la transition démocratique en Tunisie. Il est d'autant plus incompréhensible que contrairement à ceux qui veulent tout effacer dans une version tunisienne de «tamarod» pavant le chemin des réponses autoritaires, ceux qui prônent un gouvernement d'union nationale ne veulent pas entraver la transition mais la conforter. Le puissant syndicat UGTT, le parti Atakatol, membre de la troïka, ou bien la Ligue des droits de l'homme préconisent, sans d'ailleurs poser d'ultimatum, un gouvernement d'union nationale et ne remettent pas en cause l'Assemblée nationale constituante.

Certes, les idées ne sont pas encore très claires - ou partagées - sur la nature de ce gouvernement d'union nationale. Certains préconisant un gouvernement de «compétences» ou de «technocrates», ce qui paraît pour le moins aléatoire dans un contexte d'autant plus sur-politisé d'une transition en dernière ligne droite avant les grandes explications électorales. L'autre option, plus logique même si elle comporte un risque de paralysie, est celle d'une union nationale à caractère politique. Ceux qui cherchent à provoquer un vide institutionnel sur fond d'actions terroristes fonctionnent essentiellement, pour ne pas dire uniquement, sur un discours anti-Ennahda obsessionnel. Ils ne sont pas majoritaires au regard des suffrages exprimés - qui restent un élément important de la démocratie et il faut le rappeler en ces temps de mépris «démocratique» des urnes ! - mais ils sont très actifs.

Beaucoup rêvent ouvertement d'un «scénario égyptien» transposé en Tunisie sans se soucier du fait que l'Egypte est en train de basculer de plus en plus vers la violence et le rétablissement «franc» de l'appareil sécuritaire de Moubarak. Dans les rangs de «marcheurs» à l'appel du général Sissi, certaines organisations ont été refroidies par l'annonce par le ministre de l'Intérieur de la réactivation de certaines structures de la police politique controversée mises formellement en veilleuse en 2001. Le gouvernement transitoire bat le rappel des «compétences policières» mises à l'écart après la chute de Moubarak. Rien de surprenant ! On ne se débarrasse pas d'un courant politique populaire sans se débarrasser de la démocratie et sans rétablir l'appareil autoritaire.

COMPARAISON N'EST PAS RAISON, MAIS LE MOUVEMENT ENNAHDA NE DOIT PAS OCCULTER QUE CE QUI SE PASSE EN EGYPTE CONJUGUE AVEC UNE DEFAILLANCE DES SERVICES DE SECURITE EN MATIERE DE LUTTE ANTITERRORISTE FAVORISE LES MENEES DE CEUX QUI REVENT D'UN RETOUR DE L'ORDRE POLICIER DE BEN ALI. S'ACCROCHER A LA DIRECTION DU GOUVERNEMENT ALORS QU'IL S'AGIT BIEN D'AMENER LA TRANSITION A SON ABOUTISSEMENT SERAIT UNE GRAVE ERREUR POLITIQUE. C'EST VRAIMENT LACHER LA PROIE POUR L'OMBRE ! L'ENJEU TUNISIEN EST CELUI DE LA REUSSITE D'UN PROCESSUS DE CHANGEMENT DEMOCRATIQUE QUI EST TRES MENACE. SI ENNAHDA NE L'A PAS COMPRIS, CELA VEUT DIRE QUE SES DIRIGEANTS SONT DEVENUS AVEUGLES !