En réaction à
l'évacuation de force des manifestants, samedi soir, de la place Taksim et du
parc Gezi et en réponse au discours triomphant de dimanche, du Premier ministre
turc, Recep Tayyip Erdogan, devant près de 100.000 partisans de son Parti de la
Justice et du Développement (AKP), un collectif de syndicats turcs, dont deux
grandes centrales d'ouvriers et de fonctionnaires (DISK et KESK) qui regroupent
près de 700.000 membres, ont lancé hier un appel à un arrêt de travail. Des
organisations de médecins, d'ingénieurs et de dentistes qui font également
partie de ce collectif, ont annoncé qu'elles allaient prendre part à cette
grève pour protester contre la répression brutale des rassemblements à
Istanbul, Ankara et dans plusieurs villes du pays tout au long du week-end. Une
manifestation était ainsi prévue, hier, dans le centre-ville d'Istanbul pour 16
h avant de se diriger vers la place Taksim, bouclée désormais par la police.
Samedi, et en quelques minutes, les unités anti-émeutes de la police ont vidé
le parc de ses milliers d'occupants en les noyant sous un nuage de gaz
lacrymogènes. Selon la coordination des manifestants, baptisée Solidarité
Taksim, des «centaines» de personnes ont été blessées lors de l'opération. Le
gouverneur d'Istanbul Huseyin Avni Mutlu a évalué dimanche leur nombre à 44. La
police était déjà intervenue dans le parc Gezi le 31 mai en délogeant brutalement
quelques centaines de militants écologistes qui protestaient contre la
destruction annoncée du parc Gezi et de ses 600 platanes. Le discours offensif
d'Erdogan s'en est pris aux manifestants, mais aussi à la presse internationale
coupable à ses yeux d'avoir exagéré les événements, en affirmant que le
mouvement de contestation avait été manipulé par des «terroristes». Cette grève
a été déclarée, hier, «illégale» par le ministre de l'Intérieur Muammer Güler
menaçant de répression toute manifestation. «Il y a une volonté de faire
descendre les gens dans la rue par des actions illégales comme un arrêt de
travail et une grève», a dit M. Güler à la presse à Ankara, ajoutant que les
forces de l'ordre «ne le permettront pas». De son côté, le vice-Premier ministre,
Bulent Arinç a indiqué que le gouvernement turc est décidé à faire intervenir
l'armée pour empêcher d'éventuelles manifestations à Istanbul et dans toute la
Turquie. «Les policiers useront de tous les moyens qui leur sont conférés par
la loi (?) si cela ne suffit pas, même les forces armées turques peuvent être
utilisées dans les villes sous l'autorité des gouverneurs», a-t-il déclaré. Ce
dimanche, et pour la première fois depuis le début de la crise, des unités de
gendarmerie sont venues renforcer la police, notamment en barrant l'entrée d'un
des deux ponts qui enjambent le Bosphore pour empêcher les manifestants venus
de la rive anatolienne de la ville de prêter main forte à ceux qui font le coup
de poing côté européen. Par ailleurs, la police turque a arrêté près de 600
personnes ce même jour à Istanbul et Ankara dans des manifestations
antigouvernementales, a indiqué un responsable du barreau d'Istanbul. A Ankara,
autre théâtre d'affrontements, «entre 100 et 130 personnes ont été
interpellées», a précisé une responsable du barreau de la capitale. Rappelons
que la journée de dimanche a été émaillée d'accrochages entre la police et des
milliers de manifestants dans ces deux métropoles turques, après l'évacuation
par la force samedi soir du parc Gezi, le bastion des protestataires. Des
accrochages ont opposé les forces de l'ordre à des groupes de manifestants tout
autour de la place Taksim. A plusieurs reprises, les policiers ont fait usage
de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour les empêcher d'approcher.
A Ankara, la
police a également dispersé à plusieurs reprises des centaines de personnes qui
tentaient de se réunir sur la place Kizilay, le cœur de la contestation dans la
capitale. Selon le dernier bilan du syndicat des médecins turcs publié plus tôt
dans la semaine, 4 personnes sont mortes et près de 7.500 autres ont été
blessées. Les manifestations qui se sont succédées tous les jours dans de
nombreuses villes du pays exigent la démission du Premier ministre, accusé de
dérive autoritaire et de vouloir islamiser la société turque, notamment au
travers de lois limitant la vente d'alcool ou autorisant le port du foulard
islamique dans les universités.