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Il n'y a pas que
le seul aspect «flambée des prix» dans la hausse des prix des produits
agricoles. Il y a aussi l'augmentation des revenus des fellahs, ceux des
ouvriers agricoles, qui se situent tout en bas de l'échelle sociale, ainsi
qu'une mutation de l'économie agricole. Mais la confrontation entre le
«citadin-consommateur» et le «rural-producteur» demeure.
Les prix des produits agricoles frais ont fortement augmenté depuis une année en Algérie, avant de se stabiliser à un niveau qui parait relativement élevé. Ils se maintiennent désormais à un nouveau seuil, une sorte de «plateau», et promettent de s'y accrocher durablement. Cette nouvelle donne a un coût pour les consommateurs, mais elle permet surtout au monde agricole de s'offrir une augmentation des revenus. Car si le gouvernement a accordé de fortes augmentations de salaires aux employés de tous les secteurs depuis deux ans, le monde rural, lui, est resté à la marge. C'est donc un juste retour des choses qu'il trouve, dans cette évolution des prix, un moyen de s'offrir une augmentation, sans que le gouvernement y soit pour quoi que ce soit. La hausse des prix touche en premier lieu les produits frais, ceux de saison, y compris les plus consommés. Ainsi, la pomme de terre s'est installée au-dessus de 50 dinars, carotte et navet sont nettement au-dessus des 60 dinars, alors que la tomate a dépassé le seuil des cent dinars. Les autres produits sont au même niveau de prix, qu'il s'agisse de fruits ou de légumes : orange, mandarine, choux fleur, ont tous fortement augmenté. L'Office National des Statistiques souligne d'ailleurs que la hausse des prix des produits agricoles constitue la principale source d'inflation dans le pays, une inflation qui a atteint 8.6% en novembre. La hausse des prix est tirée essentiellement par l'augmentation de plus de 22,6% des prix des produits agricoles frais, la viande de poulet (+41,6%), la viande de mouton (+31,8%), et les œufs (+18,6%), selon l'ONS. Pour les fellahs, toutefois, cette augmentation ne constitue pas intégralement un revenu supplémentaire. Elle sert d'abord à combler la forte hausse des intrants, et de mieux rémunérer la main d'œuvre. Celle-ci reste en effet particulièrement exposée. C'est la main d'œuvre la plus précaire, la moins payée. Pas de de couverture sociale, pas de retraite, aucune garantie de revenu. Et, par-dessus tout, un système de travail totalement archaïque, avec un salaire dérisoire, entre 500 et 600 dinars la journée. Comme si le monde agricole restait en dehors de l'économie officielle. 250 dinars les petits pois, bientôt? ! La main d'œuvre manque d'ailleurs cruellement dans les champs. Elle est si rare que certains champs sont abandonnés, quand les prix deviennent trop bas. Les fellahs préfèrent réserver leur bras à ce qu'ils considèrent comme prioritaire. Seule issue pour eux, le recours au travail des plus jeunes, parfois des enfants. «Heureusement que les moments de forte pression sur la main d'œuvre coïncident avec les vacances scolaires», déclare un fellah. «Autrement, certains récoltes seraient totalement abandonnées», dit-il. Ce fellah prédit ainsi les petits pois à 250 dinars le kilo ou plus, sous peu. Pas à cause du coût des semences, ni des frais, dit-il. Mais à cause du manque de main d'œuvre. Début 2012, ce fellah avait été contraint d'abandonner un champ de petits pois de deux hectares, qui devait lui rapporter un million de dinars, selon ses estimations. Mais il a fait trop froid au moment de la récolte, et il n'y avait pas de main d'œuvre. Le constat de ce fellah met en évidence une autre réalité de l'agriculture algérienne. Celle-ci est arrivée à une forte mécanisation pour certaines cultures, comme les céréales, mais celles qui demandent beaucoup de main d'œuvre n'ont pas encore fait leur transition. Seuls des prix élevés pourront assurer une production élevée. C'est le prix à payer pour manger des produits frais dans l'Algérie du nouveau siècle. A défaut, le pays sera toujours prisonnier de la confrontation traditionnelle entre des «citadins consommateurs» qui se plaignent de la flambée des prix, et des «ruraux producteurs» qui vont s'orienter vers les produits nécessitant peu de main d'œuvre. En attendant l'arrivée des clandestins marocains ou subsahariens. |
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