
Autres temps,
autres mœurs. Yennayer (Ennayer pour la région ouest) n'est plus ce qu'il était
il y a juste quelques années, où il était fêté dans la pure tradition. Les
nouvelles tendances alimentaires, la diversification et la disponibilité des
produits et les mutations sociales, ont considérablement influé sur la forme de
cette fête familiale, dont la quasi majorité des maghnaouis questionnés en
ignorent les origines, pourtant un simple clic sur la toile permet d'en
apprendre beaucoup. L'homme semble adapter Ennayer aux temps modernes, ce qui
nécessairement le tronque quelque part de son sens, et de son authenticité. «
De notre temps, Ennayer se faisait simple mais chaleureux » dira ce sexagénaire
lequel énumère fièrement, non sans nostalgie, les ingrédients qui faisaient la
spécificité de cette fête, et la joie de la famille « Ennayer, pour nous,
enfants, était d'abord les petits pains ronds que les mères ou grands-mères
s'appliquent à façonner pour chacun de nous, et à décorer d'amandes et de
bonbons avec un œuf au milieu et que nous portons fièrement au four du coin,
pour les faire cuire. Ennayer, c'est également le plat spécifique pour
l'occasion « Cherchem » (une sorte de soupe au blé et fève) que nous consommons
qu'en cette occasion. Ennayer c'est aussi la veillée familiale autour du « Tbag
», un contenant souple en alfa, plein de figues sèches, caroube, oranges,
grenades que les mères cachent en prévision de cette fête, dattes sèches,
amandes, œufs durs et des inévitables cacahuètes. Après que chacun ait reçu sa
part de la main de la plus ainée de la famille, grands et petits s'adonnent à
un jeu qui reflète bien la simplicité d'autrefois, et qui anime la soirée
chacun faisant deviner à l'autre la parité du nombre de pièces de friandise
qu'il cache dans sa main. Si celle-ci est devinée, il perd ce qu'il avait dans
la main au profit de l'autre joueur sinon, c'est l'autre qui lui remet
l'équivalent. C'était le bon vieux temps » notre interlocuteur n'oublie pas de
souligner très particulièrement le saff (2 rangées de femmes munies de Bendir
et disposées face à face et qui chantent Ennayer ) que les femmes organisent
dans l'une des maisons, voire dehors, des habitudes et expressions orales qui,
se désole t-il, se perdent malheureusement. Après un déclin qui a duré
plusieurs années, Ennayer est fêté de plus en plus, notamment après sa
médiatisation mais sommes toutes différemment. C'est désormais à coup de
friandises made in ailleurs et dont les prix sont inabordables que cette fête
est célébrée. Ainsi Ennayer est devenu plutôt une contrainte qu'un agrément, à
l'image de l'Aid el adha, où les familles s'endettent uniquement pour faire
pareil au voisin. Et pour cause, et à titre indicatif, le kg de pistache à 1600
DA, les amandes à 1300 DA, « halwat turc » à 700 DA, les figues à 500 DA, les dattes
à 450 DA?pour ne citer que les produits les plus communs. Malgré les prix
brûlants, la majorité des familles ne déroge pas à cette fête traditionnelle.
Quant aux plus nantis, ils se permettent les ananas frais, les chocolats de
grandes marques européennes, les dragées aux amandes et bien d'autres gâteries
inaccessibles aux bourses moyennes. Même si le décor a agréablement changé et
la consistance de produits bien plus fournie, cette fête ancestrale a perdu de
son âme et se limite actuellement en une simple fête de consommation de
friandises. Ennayer n'est plus chanté, il regroupe de moins en moins les
membres des familles, ce qui le vide de son vrai sens. Finalement la tradition
se perd doucement mais sûrement.