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Samia Mehaddene, A2DEMTI : «L'enseignement des maths en Algérie résiste à l'intégration des TIC»

par Abdelkader Zahar

"Je n'aime pas les maths. C'est difficile". C'est l'avis d'une majorité de gens. "C'est un jeu d'enfant", répond Mme Samia Mehaddene, présidente de l'Association algérienne pour le développement de l'enseignement des mathématiques et des technologies de l'information. A condition, dit-elle, de changer de méthodes et d'outils, par le recours aux jeux et aux TIC. Explications...

Pouvez-vous faire une brève présentation de l'Association algérienne pour le développement de l'enseignement des mathématiques et des technologies de l'information (A2DEMTI) ?

Après ma participation, en 2009, à deux séminaires, l'un en Belgique et l'autre en Tunisie, j'ai constaté que dans le monde entier les mathématiciens s'organisent en association ou bien en IREM (Institut de recherche en enseignement des mathématiques). Or, en Algérie, il n'en existe aucune. C'est de là qu'est parti un travail de groupe qui a abouti à la création de cette association, A2DEMTI, à caractère national qui a été concrétisée le 5 mai 2011 par l'obtention de l'agrément. Le but de l'association est de créer un lieu de rencontre et d'échange pour les enseignants des mathématiques, tous paliers confondus, d'aider à la vulgarisation de la culture mathématique et, surtout, de faire aimer cette matière à nos enfants. Nos activités s'orientent vers le corps enseignant, à travers l'organisation de colloques et de séminaires auxquels on invite des experts Algériens et étrangers, mais également vers l'élève. Notre première démarche a été de lancer le premier club Animath-Algérie, au mois d'octobre dernier. Des élèves de 1ère et 2e AS, Science ou maths, ont eu des formations chaque samedi par deux enseignants Algériens, puis un stage bloqué de 3 jours, encadré par ces trois profs dont un Français, afin de les préparer à participer aux futures compétitions internationales.

Comment peut-on associer l'enseignement des mathématiques aux TIC ?

Les programmes de mathématiques mis en place affichent une volonté explicite d'intégration des nouvelles technologies que ce soit au niveau du collège ou du lycée et même au primaire. Cette volonté d'intégrer les TIC dans l'enseignement des mathématiques est liée à deux raisons. D'abord, les TIC sont des outils quotidiens du monde actuel (pour intéresser les enfants, il faut suivre leur développement, c'est une génération numérique). Les TIC sont aussi particulièrement bien adaptés aux mathématiques (avec des logiciels tel que Cabri, et Geogebra , Xcas,?), l'élève peut acquérir des notions avec une grande facilité et en un temps record. Mais je précise que le papier crayon doit accompagner ces démarches d'acquisition des notions mathématiques.

Quel est l'état de l'enseignement des mathématiques en Algérie ?

L'enseignement des mathématiques en Algérie résiste à l'intégration des TIC. Les causes sont multiples. Il y a d'abord le manque de connaissances ou de compétences dans l'utilisation des nouvelles technologies, ainsi que la difficulté à accepter de changer des méthodes de travail éprouvées depuis parfois de nombreuses années. Mais sachez que cette résistance n'est pas spécifique à l'enseignant Algérien. Lors du congrès 2012 de l'EMF 2012 (Espace Mathématique Francophone), qui s'est déroulé à Genève, j'ai compris que la plupart des pays sont passés par ces moments d'hésitations et de résistance à l'usage des TIC dans l'enseignement des mathématiques.

Peut-on faire mieux dans l'enseignement des maths ? Qu'est-ce qui manque ?

Bien sûr qu'il est possible de faire mieux. Je pense que la levée des obstacles cités précédemment, se fera au travers de la formation des enseignants, qui devra aborder l'intégration des TIC dans l'enseignement des mathématiques. Il faut aussi les accompagner pendant ces changements, ce que l'association tente de faire en mettant à leur disposition un milieu d'échanges avec des experts locaux et étrangers dans un environnement convivial et sans contraintes. L'A2DEMTI a assuré la formation de 15 adhérents, pendant une semaine, à l'université de "Bordeaux 1", en juin dernier, sur «l'utilisation des TIC dans les enseignements des mathématiques». J'ai pu voir la volonté des participants d'apprendre et de changer leur façon d'enseigner. Cette volonté a été également constatée lors de notre colloque national, organisé du 28 & 29 décembre 2011 à l'université de Tizi Ouzou, sous le thème «Intégration des TIC dans l'enseignement des maths», et lors du séminaire international qui s'est déroulé du 16 au 19 Mars 2012 à Tipaza.

Pourquoi, selon vous, cette phobie des mathématiques aussi bien chez les élèves que les parents ?

Il arrive parfois que les maths soient présentées de manière abstraite, sans aucun lien avec une application pratique. Il est, alors, très difficile de comprendre à quoi peut bien servir une nouvelle notion qui ne semble avoir aucun intérêt si ce n'est d'être compliquée. Par ailleurs, il se peut aussi que les mathématiques semblent finir par se vider de leur utilité. Parfois, leur apprentissage se réduit à des exercices reproductifs; elles paraissent se résumer à un ensemble de mécanismes non expliqués, or c'est tout sauf cela. Les nouvelles méthodes d'enseignements, en intégrant les problèmes ouverts, situations des problèmes et problèmes d'intégrations, peuvent donner un nouveau visage à ces mathématiques dites difficiles.

L'Algérie participe-t-elle aux olympiades de mathématiques ? Si oui, quels sont ses résultats ?

Les résultats de l'Olympiade Internationale de Mathématiques 2009 qui a connu la participation de nombreux pays ne nous honorent pas. L'Algérie a été classée à la 104e et dernière place. En août 2012, j'ai participé à l'organisation et la correction de «la Finale Internationale du Championnat des jeux mathématiques et Logiques», qui s'est déroulée à l'UNESCO (Paris). Ce qui est étonnant, c'est que jamais l'Algérie n'a participé à cette compétition qui en est à sa 26e édition. Ça me fait mal et c'est pour cela que j'ai inscrit cette année une dizaine d'élèves qu'on est entrain de préparer pour cette compétition, malgré des difficultés énormes et de manques de moyens (nous avons besoin de PC portables et de clés Internet). La dernière place obtenue par l'Algérie est logique. Nos enfants ne sont pas préparés aux genres de problèmes donnés lors de ces compétitions. Ce sont des problèmes de logique, de stratégies qui n'ont pas vraiment ou forcément un rapport avec les programmes enseignés en classes.

Vous organisez, prochainement, un colloque sur les "Jeux mathématiques et apprentissages". Peut-on enseigner les mathématiques par le jeu ? Jusqu'à quel âge ?

Certainement et c'est le but de ce colloque : montrer comment arriver à des notions mathématiques à travers le jeu. Il faut lire la thèse de Julian Alvarez sur le jeu sérieux. Il montre précisément à quelles conditions pédagogiques le jeu vidéo peut devenir un outil d'enseignement. Le sociologue Laurent Trémel nous explique clairement dans ces écrits l'efficacité des jeux dans l'enseignement, et enfin, le cognitiviste Idriss Aberkane nous explique quels mécanismes cérébraux sont mobilisés par le jeu. L'enseignement des maths par le jeu touche toutes les tranches d'âge. J'ai acheté un CD de jeux de Logique de pôle éditions «LOGISSIMO» où c'est écrit «TOUS PUBLICS DE 7 à 77ANS».

Existe-t-il des jeux et des logiciels d'apprentissage des mathématiques en Algérie ?

On ne trouve pas souvent les bons, car ils sont trop chers. Nos amis Michel Criton et Gilles Cohen ont produit beaucoup de livres sur les jeux mathématiques et logiques, mais ils ne sont pas encore disponibles en Algérie. Notre association est entrain de faire des démarches pour mettre ces œuvres de qualités entre les mains de ces adhérents.

Que conseillez-vous aux enseignants et aux parents pour faire aimer les maths à leurs enfants dès leur jeune âge ?

Je pense qu'il faut dire toujours à nos enfants que les maths c'est un jeu d'enfants.

Pourquoi n'enseigne-t-on les mathématiques que dans les disciplines scientifiques (ingénieurs?) et pas dans d'autres filières universitaires comme le journalisme, le droit, et les spécialités littéraires ?

La revue Tangente a publié un numéro hors série (n°28) qui s'intitule «Mathématiques et littérature, une fascination réciproque». Plusieurs articles de cette publication parlent du mariage parfait des deux disciplines. Il y a un laboratoire de recherche à l'université de Batna qui s'intéresse de près à cette question. L'association va contribuer à cette recherche, et il y a des surprises qui se préparent à ce sujet dans l'avenir.

Un dernier mot ?

Je souhaite remercier toutes les personnes et les institutions qui nous ont soutenues, tout particulièrement l'Institut français d'Alger (IFA), le wali de Laghouat, et surtout le recteur de l'université de Laghouat qui va nous accueillir dans son lieu de savoir les 26 et 27 décembre 2012. Et je lance un appel à toute personne en mesure de nous aider, aux ministères de l'Education nationale, et de l'Enseignement supérieur, et surtout le ministère de l'intérieur de nous soutenir financièrement. Jusqu'à présent nous n'avons perçu aucune subvention financière ni à l'échelle locale ni au niveau national, ce qui risque de remettre en cause nos projets futurs.