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A l'occasion de l'arrivée à Alger de
François Hollande, Président de la République française, nous tenons à
témoigner, à travers une expérience récente, que se manifeste en Algérie, la
volonté d'une vraie réconciliation entre nos deux peuples.
S'attendrait-on à ce qu'une assemblée d'anciens combattants algériens souhaite, en préambule de sa commémoration du cinquantenaire de l'indépendance, dialoguer avec la fille d'un sous-officier français et l'arrière-petit-fils d'un juge colonial ? Et pourtant, c'est l'invitation que nous avons reçue de la Fondation de la Wilaya IV pour le colloque historique qu'elle tenait à la mi-juin à Aïn-Defla, ville du centre-ouest de l'Algérie. Nous, deux Français, dont l'existence a été, pour des raisons différentes, profondément marquée par ce pays. Moi, Hélène Erlingsen-Creste *, journaliste, j'y ai vécu quelque temps, alors que mon père était sous-officier dans une «section administrative spécialisée», à Tacheta Zouggara, au cœur de cette Wilaya. Il a été tué dans une embuscade en 1958, alors que je n'avais que 6 ans. Si ses yeux n'ont pas souvent croisé les miens car il était souvent en mission, j'ai gardé de lui le souvenir indélébile d'un homme d'une grande douceur et d'un père merveilleux. Voulant retrouver sa trace et celle de tous ces soldats français tombés en Algérie, j'ai fait le choix de le faire avec Mohamed Zerouki, fils d'un commissaire politique de l'ALN, disparu quelque part dans le même djebel et dont on n'a jamais retrouvé le corps. Dans Nos pères ennemis aux éditions Privat, ensemble, nous évoquons autant Ibrahim Zerouki que Clovis Creste ; deux hommes courageux, deux patriotes, morts, l'un «pour la France», l'autre pour l'indépendance de l'Algérie. Ensemble, nous avons aussi voulu remonter aux sources d'une guerre si inutilement meurtrière. Quant à moi, Christian Phéline**, aujourd'hui magistrat à la Cour des comptes, l'Algérie est comme mon second pays. Par ma famille, dont quatre générations y ont vécu. Par le choix qui m'a fait y revenir comme coopérant au ministère de l'Agriculture et de la Réforme agraire. Par les nombreux retors que j'y ai faits depuis. Par ce livre, Les Insurgés de l'an 1 (Casbah éditions), qui retrace une brève révolte paysanne, intervenue en 1901, dans un petit centre de colonisation appelé Margueritte - une affaire dont, à l'époque, mon arrière-grand-père avait dû assurer l'instruction... Tous les deux, sans nous connaître, nous avons ainsi écrit deux livres très différents mais proches dans leur finalité : dépasser une histoire individuelle pour atteindre sa portée collective ; œuvrer par un travail de vérité et de dialogue à une mémoire mieux partagée entre Algériens et Français. Aussi est-ce d'une même voix que nous avons dit «oui»à l'invitation faite à chacun de nous. Nos avions sont arrivés le même jour, l'un venant de Paris, l'autre de Toulouse. A l'aéroport, l'envoyé de la Fondation nous a accueillis d'un «Vous êtes ici chez vous.» Pour rejoindre Aïn Defla, nous avons traversé Alger la Blanche puis nous sommes dirigés vers Tipaza, pour obliquer vers le Zaccar. Le soleil se couchait derrière le Chenoua. Que ce pays est beau ! Combien nous comprenons ceux qui n'ont pas cessé de l'aimer ! Le débat Dès le lendemain, nous étions conviés à présenter nos livres, à parler à travers eux de notre attachement à l'Algérie, à engager la discussion avec une assistance où les jeunes générations entouraient avec respect moudjahidine, moudjahidate et veuves de chouhada. Lorsque, moi, Hélène, j'ai parlé de ma petite enfance, des soldats en armes qui m'accompagnaient à l'école, de la disparition de mon père, j'avais un peu peur que ce public accueille mal la souffrance de la fille d'un de leurs anciens adversaires? A la fin, on m'a applaudie. Une femme, Aldja, m'a dit : «J'ai pleuré quand je vous ai entendu parler de votre père. Nous avons presque la même histoire. Le mien est parti au maquis très jeune et je ne l'ai pas connu?» Je lui tends une photo de mon père qui me serre dans ses bras. Elle m'embrasse : «Hélène, nous sommes sœurs. Reviens chez moi. Je veux t'inviter et qu'on parle de cette guerre qui nous a fait du mal des deux côtés, français et algérien.» Moi, Christian, j'ai expliqué pourquoi, à travers un long parcours dans les archives coloniales, j'avais voulu «réinstruire» l'histoire de ce lointain soulèvement. C'était retrouver, dans l'Algérie réputée «pacifiée» de la Belle Epoque, la trace souterraine d'une résistance paysanne à la colonisation aussi bien que notre incapacité à y répondre autrement que par une répression de masse. J'ai été très intéressé par la manière dont cette révolte avait mêlé réaffirmation de l'identité musulmane, exaspération économique, et défi politique à l'ordre en place. Après mon intervention, les questions ont donc fusé. Dans la salle, certains des plus anciens se sont levés pour dire qu'ils «ne nourrissaient pas de haine contre le peuple français.» Puis, pendant deux jours, se sont succédé à la tribune, des professeurs, des chercheurs, d'anciens combattants de l'ALN. En marge de ces interventions, des jeunes étudiantes en histoire contemporaine à l'université de Miliana ont souhaité qu'on leur parle de nos recherches. Et aujourd'hui ? Le colloque était présidé en personne par Youcef Khatib, colonel Si Hassan dans la lutte de libération nationale. Chef de la Wilaya IV depuis 1961, il a été le premier officier à rentrer à Alger, avec ses troupes, entre le 3 et le 5 juillet 1962. Docteur en médecine, il a choisi de reprendre son métier plutôt que de participer au nouveau pouvoir politique. A Aïn Defla, il rappelait son souci d'un plein accès aux archives de l'ALN-FLN transférées en France. Puis, se tournant vers nous, il ajoutait : «Le passé, c'est le passé. C'était la guerre. Maintenant il faut écrire notre histoire. La vérité ne peut qu'aider la paix». Des anciens regrettaient (auprès de nous, Français?) que les jeunes de leur pays ne s'intéressent pas assez à l'histoire de la guerre d'Algérie. Il nous a semblé entendre nos anciens combattants lorsqu'ils déclarent : «C'est une guerre qu'on ne doit pas oublier. Elle doit avoir toute sa place dans les livres d'histoire?.» Nous avons aussi souvent entendu des anciens nous dire que «s'il y avait eu des braves chez eux, il y en avait eu aussi, chez nous.» Ainsi, pendant trois jours, nous avons parlé de paix avec des Algériens. De paix et d'un travail sur l'histoire à conduire en commun. Nous en sommes revenus avec la conviction qu'il était temps, et possible, d'en finir avec la guerre des mémoires En France, ne voit-on pas les recherches menées depuis trente ans par les historiens commencer à trouver une large audience et, aujourd'hui, le musée de l'Armée lui-même vouloir ne plus s'en tenir à une vision unilatérale de l'histoire franco-algérienne ? En Algérie, nous pouvons en témoigner, les signes d'une volonté d'ouverture et de débat se dessinent semblablement, non seulement de la part de journalistes ou d'intellectuels, mais jusque dans les rangs d'anciens combattants. Cela fait 50 ans que nous nous disons que l'on doit faire la paix. Arrêtons de le dire, faisons-la ! Faisons-là vraiment ! Une paix qui ne pourra s'installer qu'en regardant le passé sans mensonge ni complaisance ; et l'avenir, à travers de nombreux échanges comme ceux que nous avons eus en juin dernier à Aïn-Defla. * Docteur en sciences politiques et diplômée des Hautes Etudes de la Défense nationale et de la Sécurité intérieure. ** Diplômé de l'ENA (promotion «Jean Jaurès»). Ancien coopérant au ministère de l'Agriculture en Algérie. |
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