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Le moins que l'on puisse dire est que, les deux dernières éditions du désormais
Festival d'Oran du Cinéma Arabe (FOFA) se sont déroulées dans un contexte
particulier. En ces temps d'inquiétude et de perte de repère, d'aucuns
s'interrogent, à juste titre d'ailleurs, sur l'opportunité et la pertinence
d'une telle manifestation cinématographique consacrée au monde arabe, alors que
ce dernier, à feu et à sang, affronte des défis de toutes natures, avec en
toile de fond, des violences inouïes qui se succèdent à un rythme effréné.
C'est précisément parce que les conflits s'enveniment et que les déséquilibres
géostratégiques s'accentuent, qu'il s'avère urgent de réagir pour mettre à nu
les dysfonctionnements et dérapages nombreux, non seulement dans le domaine politique
où les frontières du dicible et du pensable ont été largement franchies, mais
également dans les domaines de la communication, de la culture et des arts.
Deux interrogations essentielles viennent très vite à l'esprit. La première, relative aux virtualités du cinéma en tant que vecteur d'expression, d'information et de communication et posent donc la problématique de l'efficacité de ce média en tant que moyen de conscientisation et de mobilisation des masses. La seconde, bien plus complexe, remet à jour des interrogations anciennes relatives à l'identité d'un film. Tout un chacun sait que les images traduisent des sentiments et des émotions et expriment des idées et des pensées. L'œuvre filmique excite la curiosité et éveille l'esprit en remplissant d'enthousiasme celui qui l'observe. Le rôle du 7ème art dans le développement de la conscience critique, esthétique et politique des masses n'est plus à démontrer. Les films mettent en relation, informent, expliquent, propagent des informations et donc contribuent à la compréhension de réalités parfois assez complexes. Le cinéma, en tant que fenêtre sur le monde, offre des possibilités multiples en matière de raffermissement des relations sociales et donc de rapprochement des peuples et des cultures. Ainsi, le film et à fortiori un festival de cinéma peut, à tout le moins, constituer une opportunité exceptionnelle pour se découvrir et découvrir, via le regard des cinéastes, les réalités contemporaines. Il offre, par ailleurs, aux uns comme aux autres, des possibilités d'échanger des points de vue sur l'avenir des cinématographies respectives et donc sur les mouvements majeurs de l'histoire en marche. Il aide enfin à comprendre et à faire comprendre ce que les films disent, font ressentir et transmettent comme émotion aux gens qui vont les voir et pour lesquels ils ont été réalisés. En invitant le Liban, l'Égypte, la Syrie ou la Tunisie, l'Algérie ne fait pas qu'accueillir des pays «frères», qui ont signalé au monde leur besoin de changer d'histoire, leur besoin de liberté, leur force collective et leur désir de démocratie. Elle accueille aussi de grands pays cinématographiques qui souhaitent inventer de nouveaux symboles afin d'accompagner la conscience collective, tout en poursuivant la lutte pour la défense des libertés artistiques, morales, professionnelles et économiques de la création cinématographique. Les habitants de cette immense contrée géographique, qu'est le « Monde arabe » s'ignorent totalement et ignorent ce qui se passe chez leur voisin le plus immédiat. La programmation de cette 6e édition (15 au 22 décembre 2012), constitue une fenêtre ouverte sur les cinématographies des différents pays. Elle offre au public l'éclairage nécessaire sur la complexité des situations culturelles, sociales et politiques propre à chaque pays. Oran n'est cependant ni Cannes (où sont proposés à la présélection des milliers de films), ni Bollywood (l'usine à rêves de Bombay) qui fonctionne à plein rendement. Elle ne cherche pas non plus à rivaliser avec Dubai, Le Caire ou Marrakech. En revisitant les champs et contre-champs de la cinématographie arabe, en analysant les œuvres marquantes contemporaines et en célébrant les films et cinéastes dont les styles, écritures et thématiques imprègnent les mémoires, le FOFA souhaite tout simplement apporter l'éclairage nécessaire sur les possibilités du cinéma en tant que vecteur de rapprochement des imaginaires et en tant que moyen d'affermissement des relations entre citoyens vivant parfois les uns à côté des autres sans se connaître vraiment. Un festival, ce sont des films en compétition et des débats avec leurs auteurs, mais c'est aussi l'occasion de rencontres autour de multiples activités connexes, tels des ateliers de sensibilisation et/ou de formation aux métiers de l'image, des tables-rondes et journées d'études consacrées cette année à notre révolution et enfin des hommages particuliers aux grands noms du 7e art, disparus ou encore en vie. Cette année, les artistes n'ont pas été oubliés. Compte-tenu de la disette en matière filmique dans le monde arabe actuel, opérer un choix éclectique relève de la gageure. Sur les cent trente films proposés cette année (tous formats confondus), 13 longs et 14 courts métrages ont été retenus pour la compétition par le pré-jury de sélection. Les films documentaires n'ont malheureusement pas eu droit à la compétition malgré la qualité des œuvres proposées. Deux jurys internationaux, composés de personnalités des arts et de la culture, auront une lourde charge à assumer : désigner des lauréats parmi les vingt sept films en lice pour le « Wah d'Or » en plus des autres distinctions. Nous reviendrons sur le Palmarès dans une prochaine livraison. On peut toutefois affirmer que les productions proposées cette année, réalisées dans un contexte d'urgence, vont laisser apparaître en filigrane l'effervescence des révoltes en cours. Les cinéastes arabes ont toujours été à l'écoute des soubresauts de l'histoire en général et de l'histoire de leur pays en particulier. Leurs films évoluent au rythme des mutations des sociétés qu'ils reflètent. Qu'il soit égyptien, libanais, syrien, marocain ou tunisien, chaque cinéma à travers ses problématiques particulières, développe les préoccupations de la société arabe contemporaine. Des œuvres de qualité sont au programme à Oran. Certaines ont même été remarquées sous d'autres cieux. Ce qui nous permet de dire que le monde arabe, malgré les tourbillons auxquels il est confronté, ne manque ni de créateurs de talent, ni de compétences, ni de savoir-faire technique. Comment alors expliquer le fait que malgré ces atouts, la vitalité de la cinématographie arabe fait encore défaut ? Lorsque l'imagination n'est plus fertile, lorsque l'esprit créateur se sclérose et lorsque l'innovation n'est plus au rendez-vous, c'est qu'il y a blocage et ce blocage n'est pas exclusivement lié à un manque de moyens logistique, il est aussi et surtout la résultante d'une pénurie de liberté d'expression. Balbutiantes et fragiles, en comparaison à celles des voisins du Nord, les structures cinématographiques arabes ne sont pas encore prêtes à nous donner à voir des films sur notre patrimoine culturel et sur les grands hommes de notre passé: Al Khawarizmi le savant, Ibn Khaldoun l'historien, Al Farabi, le mathématicien, Al Farazi, le physicien, Al Makdisi, l'astronome, Al Abbadi, le chimiste, Ibn Sina, le philosophe? Cela-dit, quels que soient les couacs enregistrés, on ne peut qu'être satisfait de l'organisation de cette sixième édition qui s'inscrit dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire de notre indépendance. Il serait cependant vain d'espérer des résultats tangibles en quelques années. Les paris lancés par les festivals et rencontres consacrés au 7e art (FCNAFA (Tizi-ouzou), JCB (Bejaîa), JCA et JCE (Alger) et FOFA (Oran), sont à long terme. Pour les relever, il faut du temps, de l'argent et de la persévérance, mais aussi et surtout, une démarche cohérente qui ne saurait faire l'économie de tâtonnements. Ce rendez-vous d'exception auquel la population oranaise est conviée, sortira, sans nul doute, la capitale de l'Ouest de sa torpeur culturelle et installera la ville, la région et le pays au croisement des cinématographies arabes. En établissant une ou plusieurs passerelles en direction de l'histoire contemporaine, en mettant à jour les aspects complexes qui échappent parfois aux plus avertis, et enfin, en essayant de comprendre et de faire comprendre ce que les films disent, font ressentir et transmettent comme émotion aux gens qui vont les voir et pour lesquels ils ont été réalisés, El Bahia deviendra à terme, une véritable Agora du film arabe. Du moins, telle est l'espérance du ministère de la culture et des organisateurs qui ont donné le meilleur d'eux même pour relever tous les défis. NB : Conférence de presse : samedi 15 à 10h au théatre Régional d'Oran. Ouverture officielle, même jour à 18h au Centre des Conventions. Le programme détaillé est accessible au niveau de la direction de la culture et via le site du FOFA |
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