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Saisissant l'occasion de la célébration de la Journée internationale des
droits de l'homme, les familles des disparus ont tenu à rappeler au président
de la République qu'elles veulent que «Vérité et Justice» puissent leur
permettre de faire leur deuil.
C'était hier, à partir de 10h, qu'une trentaine de familles des disparus ont choisi de faire leur sit-in devant le siège de la Caisse nationale de retraite (CNR) parce que, nous ont-elles dit, «les policiers ne nous laissent pas nous approcher du siège de la commission des droits de l'homme de Ksentini». «Essoudjoune esseria fi bilad el houria ! (Les prisons secrètes dans le pays de la liberté)», scandaient les proches des disparus à la face des policiers qui se sont positionnés à leur proximité. Debout devant l'arrêt de bus jouxtant le siège de la CNR, sur le boulevard Bouguerra, les manifestants, portraits en main de leurs proches avec date de leur enlèvement, étaient encadrés par deux personnes qui tenaient une large banderole où figuraient un grand nombre de photos de disparus marquées par le slogan «Vérité et Justice». «Ya Raïs Bouteflika, aâlach tkhaf mel hakika ? (Président Bouteflika, pourquoi as-tu peur de la vérité ?) », interrogent-ils tous en chœur. Leurs supplications s'adressent quasiment toutes au chef de l'Etat, qui, selon plusieurs d'entre eux, «est le seul qui peut ordonner que la vérité soit connue et que la justice soit actionnée pour connaître le sort de nos enfants disparus, il nous permettra de faire enfin notre deuil». Les noms de Maître Ksentini et du général major à la retraite, Khaled Nezzar, sont mis en avant avec insistance parce que les familles des disparus pensent pour ce qui concerne le premier « qu'il n'a pas fait ce qu'il fallait faire pour obliger les autorités publiques à rechercher la vérité et à faire bouger la justice» et pour le second «parce qu'il est responsable de l'enlèvement de nos enfants, il n'avait pas interdit aux services de sécurité de le faire durant les années 90 ». Ils affirment haut et fort comme toujours que « nos enfants ne sont pas des terroristes ! Les policiers et les gendarmes les ont pris de leur lit, ils ne les ont pas trouvés cachés dans le maquis ou dans des caves.» «MASSIRA SELMIA !» Vers 10h30, les manifestants tentent de braver le cordon sécuritaire pour descendre vers le siège de la commission des droits de l'homme au niveau de la place Addis-Abeba. Les policiers accourent de toute part pour les en empêcher. «Baraket mnel hogra !», lancent-ils à tue-tête. «Massira selmia», scandent-ils plus fort pour convaincre les policiers de la justesse et du caractère pacifique de leur marche. Ils tentent encore d'avancer, les policiers les bousculent, les femmes se mettent en avant pour empêcher les policiers de recourir à la force. Une mère d'un disparu essaie de leur échapper. Rien à faire, la vigilance des agents de l'ordre était sans faille. Habitué à être fortement malmené par les policiers parce que considéré comme «meneur» de la contestation des familles des disparus, le jeune Slimane se fait encore une fois embarqué, un autre manifestant puis un autre le sont aussi. Les femmes crient à la face des agents de sécurité en tenue et en civil, pour les faire relâcher. Ils se démènent. Après quelques palabres avec l'un après l'autre des trois « embarqués», les policiers les relâchent. Slimane reprend ses appels de plus belle «Galouna enssaouham, roudouhoum ledaïrouh ! (Ils nous ont demandé de les oublier, rendez-les à leurs familles !», hurlait-il. «On veut bien que vos enfants reviennent mais Allah ghalab, on n'y peut rien, nous», leur dit un officier. «La police hagarine!», lui rétorque une manifestante. «Mon fils a été enlevé en 1993, on me dit qu'il est mort, donnez-nous alors son corps, comme ça on sera convaincu», nous dit une vieille maman exténuée. «On connaît les gendarmes qui sont venus le chercher à la maison et qu'ils l'ont remis après aux policiers qu'on connaît aussi. Il avait gardé contact avec nous pendant deux ans mais après plus rien», nous raconte-t-elle aidée par sa fille qui l'accompagnait et qui affirme que «nous refusons toute indemnisation». Sa mère renchérit «je ne vends pas mon fils! Quand il est mort, ils auraient dû nous remettre son corps, on aurait fait notre deuil.» LE CRIME IMPRESCRIPTIBLE Une femme bouscule un policier, l'insulte et tente d'entamer sa marche. «Vous acceptez qu'on vous insulte votre mon père comme l'a fait cette femme, le mien je l'ai enterré il y a quinze jours, pourquoi voulez-vous que j'accepte tout cela ?», nous demande-t-il avec les larmes aux yeux. Il nous montre le bouton de sa veste arraché par la force des mains de la femme en colère. «Ils nous insultent, ils nous frappent, ce n'est pas moi qui ai enlevé leurs enfants», nous dit-il encore. Un collègue à lui se plaint aussi lorsqu'il a été traité de «ould hram » par une manifestante. Sur le trottoir d'en face, un jeune se fait encercler par des agents de police qui voulaient lui enlever la puce du portable avec lequel il filmait la manifestation. «Je suis un facebooker, ils n'ont pas réussi à me prendre ma puce, je me demande pourquoi font-ils ça », nous dit-il. Aux policiers qui repartaient sur leurs pas, il lance « on combat aussi pour avoir les droits que vous n'avez pas». Un policier lui répond «on les a, nos droits!» Alors le jeune lui rétorque «pourquoi El Hamel ne vous laisse-t-il pas alors avoir votre syndicat et pourquoi pour la moindre petite faute, vous êtes mutés au Sud sans possibilité de recours?» Les policiers ont préféré pour cette fois lui répondre par un rire collectif. Un vieux se rapproche d'eux et leur dit «le droit de manifester est un droit fondamental, laissez-les l'exercer». L'agent lui rappelle que «les marches sont interdites par un arrêté de wilaya». Le vieux lui note qu' «un arrêté ne peut contredire une loi fondamentale qui est la Constitution». Une belle leçon de droits (de l'homme). «On vous protège mais en même temps on applique la loi», dit un agent de sécurité à une manifestante qui lui a lancé «on déteste les policiers parce qu'ils nous frappent». Un autre manifestant leur dit calmement: «Les disparitions forcées sont un crime imprescriptible, aucune loi ne peut l'absoudre!» |
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